LA CONFESSION DE THÉODULE SABOT (d'après Maupassant)
À Martinville, Théodule Sabot, le menuisier
Représentait le parti avancé.
En voilà un qui n’aimait pas les curés.
Ce gaillard, il en dévorait !
Quand il apprit que Monseigneur
Favorisait le menuisier de la grand ’ville
Pour entreprendre la rénovation du chœur
De l’église.de Martinville,
Au prétexte que Sabot n’avait jamais
Exécuté pareil chantier,
Théodule se rendit au presbytère :
-« Je viens pour l’ouvrage à faire. »
Le curé, surpris, lui répondit :
« Comment oses-tu , toi, le seul impie
De ma paroisse ?…Ce serait un scandale.
L’évêque me réprimanderait,
…Peut-être même qu’il me déplacerait.
Je comprends. Ça te fait mal
De voir la réfection de Saint-Paulin
Confiée au menuisier du bourg voisin
Mais je ne peux pas faire autrement…
À moins que… mais…
Non. Tu n’y consentirais pas…Pourtant,
Sans cela, jamais… »
-« Dites toujours votre idée.
P’t-être qu’on s’entendra. »
Le curé déclara :
-« Donne-moi un gage de bonne volonté :
Dimanche, tu devras communier, publiquement.»
-« Et les bancs ? J’ les ferai les bancs ? »
-« Oui, si je suis sûr de ta conversion. »
-« On pourrait pas la r’mettre, c’te communion ? »
-« Non. Tu viendras te confesser demain. »
Le curé accueillit Sabot le lendemain :
-« Eh bien ! Te voilà !
Entre, on ne te mangera pas !
Récite le Confiteor. » -« Le quoi ? »
-« Bon. Répète après moi. »
Le curé articula la prière sacrée
Et Sabot la répétait de façon empêtrée.
-« Confesse-toi maintenant. »
Le menuisier ne savait comment.
-« Nous allons prendre les commandements.
À mes questions, tu répondras :
Un seul Dieu tu adoreras
Et aimeras parfaitement.
As-tu aimé quelqu’un autant que Dieu ? »
-« Oh non, m’sieu l’curé. J’aime l’ bon Dieu.
Dire que j’aime point mes éfants, non, j’ peux pas.
Dire que s’il fallait choisir entre eux
Et l’bon Dieu,
Pour ça, je n’ dis pas. »
-« C’est plus que tout qu’il te faut L’adorer ! »
-« J’ferai mon possible, m’sieu l’ curé. »
L’abbé reprit : -« Dieu en vain tu ne jureras
As-tu prononcé quelque juron parfois ? »
-« Oh ! ça non ! Je n’ jure pas.
Quéquefois,
J’ dis bin : ‘‘sacré nom de Dieu’’ !
Mais je n’ jure pas, sacrebleu ! »
Le prêtre s’écria :
-« C’est jurer cela !
Ne le fais plus.
Je continue :
Les dimanches tu garderas
En servant Dieu dévotement.
Que fais-tu le dimanche ? »
Sabot répondit avec embarras :
-« Bien souvent
J’ sers l’ bon Dieu
Et d’ mon mieux.
Mais parfois, j’ travaille l’ dimanche. »
Le curé, magnanime, l’interrompit :
-« Sûr que tu n’as pas failli.
Passons les commandements suivants.
Je reprends :
Le bien d’autrui tu ne prendras.
Le bien d’autrui,
L’as-tu détourné déjà ? »
Sabot s’indigna : -« Ah ! Mais non. J’ suis
Un honnête homme. Ça j’ l’ jure.
Dire que j’ai pas
Compté sur une facture
quéqu’heure de plus
Pour ça, je n’ dis pas.
Dire que j’y mets pas
Quéques centimes de plus,
Pour ça, je n’ dis pas.
Mais pour voler, non.
Ah ! Mais ça, non. »
-« Détourner un centime constitue
Un vol. Ne le fais plus.
Le curé dit :
Faux témoignage ne diras
Ni aucunement mentiras.
As-tu menti ? »
-« Non.
Pour ça, non.
J’ suis pas menteux. C’est ma qualité.
Dire que j’ai point raconté
Quéques blagues, pour ça,
Je n’ dis pas !
Dire que j’ai point
Fait accroire c’ qui n’était point,
Quand ce s’rait
D’ mon intérêt,
Pour ça,
Je n’ dis pas.
Mais pour menteux,
Non. Je n’ suis pas menteux. »
Le prêtre lui conseilla simplement :
-« Observe-toi dorénavant.
L’œuvre de chair ne désireras. En ton âme
Et conscience, as-tu désiré
Une autre femme
Que la tienne ? » -« Oh, non !,
M’sieu l’curé.
Ma femme, la tromper ?
Pour ça, non.
Dire que je n’ vas jamais badiner…
Pour ça, je n’ dis pas. »
Le curé n’insista pas
Et lui donna l’absolution.
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Sabot fit un travail excellent.
Dorénavant,
À la table de communion,
On peut le voir, s’agenouillant
Plusieurs fois par an.