Claire Malroux publie Dits du cerf et de quelques biches, aux éditions L’Escampette.
La biche chasseresse
And now We roam in Sov’reign woods
And now We hunt the Doe
E.D.
La parole poétique fait feu : si une femme profère
la biche en elle doit mourir
Déjà dans son nom le son d’un glas s’étire d o e
la biche, gibier du Chasseur et désormais de sa compagne
My life has stood – a Loaded Gun – / In corner
Immobile ma Vie – Fusil chargé
Une arme d’un modèle ancien, oubliée
dans des coins pendant des ans
The Owner passed – identified – And carried Me away –
Le Maître passe – m’identifia - / et M’emporta –
Et maintenant nous hantons les bois royaux
Et maintenant nous CHASSONS LA BICHE
La Chasseresse exulte
Soudainement le monde s’ouvre à elle
forêts montagnes vallées gorgées d’échos et de lumières
Une épopée, fantastique western
Changée au vent de la poésie en machine à tuer
Kill kill kill
la biche traque d’autres biches
comme pour les punir d’avoir été trop longtemps des proies
Chasser pour tout détruire, y compris soi
Elle ne voit pas le sang sur les feuilles
sur la planète souillée sur ses mains
habiles à coudre et à panser
Brève jubilation elle ne peut se plaint-elle
que tuer sans avoir le pouvoir de mourir
Jamais ne pourra se substituer au Chasseur
qui devra vivre après elle
Qui est-il ? La biche poète lance ses flèches
Veut-elle dire que la poésie n’est qu’un instrument, un pouvoir d’emprunt dépendant d’un souffle, des naseaux d’un cerf peut-être, d’une force émanant de la terre ou de l’eau, d’un hypothétique au-delà ?
Que le langage, création humain, n’est bon qu’à tuer, arme redoutable, feu à la portée, à la merci, de chacun, et pourtant inextinguible ?
Que s’il sait aussi chanter, il ne guérit pas ?
Opaque est la forêt du sens et sans autre solution le mystère que de perpétuellement l’affronter
Une seule certitude : to die, mourir, répond dans le poème à doe, la biche, et ouvre une brèche Une voyelle, un son, diffère et de la mort sépare la vie Telle est la force de la poésie : explorer toutes les voies du langage en le poussant dans ses derniers retranchements, par les associations sans cesse hasardées et renouvelées des
mots et des sons
S’il est un meurtrier, le langage n’est-il pas davantage un musicien, un chaman, un sorcier ?
Mais aujourd’hui plus qu’hier, les flèches à nouveau remplacent le chant
C’est pourquoi je me tourne d’abord vers le Moyen Age, et inaugure mon face à face avec le cerf par un retour à L’AGE D’OR ROUGE DE LA CHASSE…
Claire Malroux, Dits du cerf et de quelques biches, éditions L’Escampette, 2014, p. 15.
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