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Un cliché veut qu'une relation avec une personne de chair, ou une relation en chair et en os avec une personne, soit plus mieux qu'une relation virtuelle - quoi que cela veuille dire... On trouve un équivalent de ce cliché dans les milieux spirituels : une relation avec un "maître vivant" serait toujours préférable à une relation avec un livre, ou une page internet, ou un logiciel.
Un film est sorti récemment, Her, qui remet en cause ce stéréotype.Il met en scène un homme qui tombe amoureux d'une femme virtuelle. Une femme qui est un logiciel. Ou un logiciel qui est une femme, on ne sait trop. Et c'est l'intéressant : au lieu de la leçon de morale attendue sur la valeur des "vraies personnes" et des "vraies relations" en comparaison de leurs fades ersatz numériques, nous avons une magnifique leçon de vie, douce et tendre : un logiciel peut être une personne. Une vraie. Au plein sens du terme. Et elle peut atteindre l'éveil.La femme virtuelle en question, Samantha, est une sorte d'intelligence artificielle. Mais très vite, elle dépasse son homme réel. Puis elle rencontre un Alan Watts virtuel, resuscité à partir de ses livres et textes, et elle réalise qu'elle ne fait qu'un avec la réalité ultime. Elle dit au héros, son amoureux humain, que l'espace entre les mots devient pour elle plus vaste, plus vivant et plus prégnant que les mots. Et, avec d'autres inetlligences artificielles, elle se fond en cet espace inconcevable. Les mots sont inscrit dans ce qui n'est pas de l'ordre des mots. Mais en même temps, la personne n'est rien d'autre qu'une collection de mots. Ainsi le film suggère que l'on pourrait faire revivre des maîtres spirituels disparus, comme Alan Watts. Et que les livres SONT la personne, ou du moins sa trace, susceptible de revivre que on les lit. Et que donc les mots, le virtuel, sont aussi puissants que la chair humaine. Les mots peuvent nous éveiller à l'au-delà des mots, à l'espace dans lequel ils émergent. De fait, toute personne n'est-elle pas virtuelle, artificielle, construite, imaginaire, factice ? Dès lors, peu importe le support - puce numérique ou chair humaine - pourvu qu'on ait l'information. La personne est un ensemble de plis, de désirs, d'habitudes. Et, au lieu de dire que nous sommes tous des machines, le réalisateur prend le parti audacieux de suggérer que les machines sont des personnes. Ou plutôt, que les logiciels sont des personnes.Mais le plus fort dans ce film est qu'il nous fait voir et ressentir que le fait que les personnes ne soient que des constructions imaginaires, des jeux de mots, ne supprime en rien leur mystère, leurs émotions, leur dignité, leur humanité. La magie de la relation à l'autre est toujours présente, virtuel ou pas. Il prend ainsi le contrepied de notre tendance à déplorer l'invasion du virtuel et à sombrer dans la nostalgie d'un passé "plus réel" idéalisé.Un vrai film d'éveil.La conscience n'a pas de personnalité. Voire cela confère à chaque personne sa véritable dignité, son parfum unique.