RÉGIS SOUBROUILLARD - MARIANNEJournaliste à Marianne, plus particulièrement chargé des questions internationales En savoir plus sur cet auteur
Marianne consacre sa couverture au Traité Transatlantique. Mais avant de « bouffer » la vieille Europe, les Américains avaient prévu de s’offrir leurs voisins du pacifique en hors d’œuvre grâce au Transpacific Partnership, un traité de libre-échange qui vise à intégrer les économies de la région Asie-Pacifique et à isoler le géant chinois. Mais la pression des opinions publiques et les réticences des Japonais protectionnistes ralentissent nettement les négociations.
Pool for Yomiuri/AP/SIPA
Pour consulter le sommaire du n°886 de Marianne, cliquez sur la couvertureCette année, lors de son discours sur l’état de l’Union, Obama a déclaré que le TPP (Transpacific partnership, prononcez « Tipipi ») et l’APT (Accord de Partenariat transatlantique) étaient ses priorités pour 2014. Deux sigles obscurs qui recouvrent deux négociations commerciales autour de deux océans avec un seul acteur commun : les Etats-Unis, soucieux de s’imposer au centre du jeu commercial mondial.
Auteur du Choc des empires (1), le journaliste Jean-Michel Quatrepoint estime que le traité transatlantique « est le pendant du traité sur le Pacifique, lancé il y a maintenant trois ans ». Objectif de chacun des traités : créer des zones de libre-échange sans droits de douane mais avec un ensemble de normes communes en matière de règlementations environnementales, de droits et de brevets. Il couvre pratiquement tous les échanges de biens, les règlements de litiges, l'application des mesures phytosanitaires, les échanges de services, la propriété intellectuelle, les contrats gouvernementaux et les politiques liées à la compétition.
Le TPP est alors le traité économique le plus important jamais négocié et englobe des pays (Brunei, Chili, Nouvelle Zélande, Singapour, Australie, Malaisie, Pérou, Etats-Unis, Vietnam, Canada, Japon, Mexique) qui représentent plus de 40 % du PIB mondial. Séoul montre un intérêt timide, mais n’exclut pas de rejoindre à terme la grande « partouze » commerciale.
La fin de la « Chinamérique » Le TPP est un traité de libre-échange mais, aussi et surtout, de « containment » du rival chinois : « Le Trans-Pacifique Partnership vise directement la Chine, car les Américains et leurs multinationales considèrent que le marché chinois n’est pas suffisamment accessible à leurs entreprises, que les chinois copient allègrement — ils n’ont pas tort —, ne versent pas de redevances quand ils copient, que, en plus, ils ne donnent pas un accès suffisant à leurs marchés aux groupes américains, et qu’ils privilégient les entreprises chinoises pour leur marché », expliquait déjà Jean-Michel Quatrepoint, fin 2013, lors d’une conférence sur le sujet à la fondation Respublica.
Au début des années 2000, les Américains ne regardent en effet plus du côté de la vieille Europe, mais rêve alors d’un monde dominé par la « Chinamérique ». Washington a un projet précis de partenariat avec Pékin : faire de la Chine l’atelier de la « World Company ». Plusieurs événements vont pourtant obliger Washington à revoir sa copie. Sur le plan politique, les dirigeants chinois ont bien plus d’ambition pour leur pays que de devenir l’usine de l’Occident et s’engagent dans un vaste plan de modernisation de leur économie pour rivaliser avec les occidentaux. Pékin renforce également son arsenal militaire en achetant, par le biais d’une société écran, un porte-avions à l’Ukraine en 1998. A l’époque, ses nouveaux propriétaires basés à Macao, affirment vouloir en faire un parc de loisirs flottant. Récupéré par Pékin, le bateau, est reconditionné et surtout réarmé. Le « Liaoning » sera une fierté nationale pour l’Empire du Milieu. Les premières manœuvres en haute-mer du premier porte-avion chinois, ont eu lieu en mars 2014. « Pour Washington, le spectre d’un nouveau rival maritime dans le Pacifique et en Mer de Chine ressurgit, lui rappelant le Japon des années 1930 », selon Jean-Michel Quatrepoint. Le dernier événement qui accélérera les négociations sur le TPP est de nature financière. Après le drame de Fukushima en mars 2011, le cours du yen est au plus haut. Le premier ministre japonais de l’époque se rend à Pékin pour signer un accord monétaire afin qu’une part croissante du commerce bilatéral entre les deux pays soit libellée en yen et en yuan. Exit donc le dollar. Mais le retour de la droite japonaise au pouvoir en décembre 2012 aura raison de l’amélioration des relations diplomatiques entre Pékin et Tokyo qui ne cessent de s’écharper depuis deux ans notamment sur la question de la souveraineté des iles Senkaku.
Le Japon, méfiant vis à vis du cheval de Troie américain Au Japon justement, le TPP est négocié dans une moindre clandestinité que l’APT en Europe. En 2011, la question monopolise même l’attention des télés japonaises. Les manifestations d’agriculteurs sont fréquentes dans les rues de Tokyo, comme a pu le constater Marianne à l’époque. Aujourd’hui encore, chaque arrivée des négociateurs américains sur le territoire nippon relance le débat, ce qui tranche largement avec l’absence totale de suivi des négociations de l’APT par les médias français... Mais alors que les négociations transatlantiques avancent, lentement mais sûrement, dans le plus grand secret, celles sur le TPP sont aujourd’hui au point mort entre ses deux plus grands acteurs, américains et nippons. L’exemple japonais, traditionnellement protectionniste, ne manque pas d’intérêt à l’heure où l’Hexagone — qui tente laborieusement de soutenir ses produits « made in France » — s'est lancé secrètement, via l’Union Européenne, dans la négociation d’un traité qui sonnera le glas des « exceptions françaises ». Le Japon ne digère pas les conditions imposées par les Etats-Unis, notamment en ce qui concerne sa politique agricole, largement subventionnée. Le soutien aux producteurs de riz frise les 10 milliards de dollars par an et les tarifs douaniers sur les importations de riz sont supérieurs à 700 %. Un système largement accepté par la population, très attaché au « Made in Japan », mais inacceptable pour les Américains qui rêvent d’une vaste zone de libre-échange, concurrentielle et ouverte sur tout le pacifique.
Ce qui signifierait pour Tokyo la mort du riz japonais, incapable de résister à la compétition mondiale. Même chose pour le bœuf, le porc, le sucre, des secteurs économiquement importants que le Premier ministre japonais Shinzo Abe s’est engagé à défendre. Autre point de friction : l’automobile. Les États-Unis ont ainsi appelé le Japon à « assouplir » ses règlements et normes en matière de sécurité pour inonder le marché japonais, largement trusté par les constructeurs nippons.
Le TPP au bord de l'effondrement ? Des désaccords de fond, entretenus par la pression de l’opinion publique japonaise, qui ont contraint les pays signataires à repousser encore une fois la mise en place du TPP à l’année prochaine. Une rencontre de la « dernière chance » entre Barack Obama et Shinzo Abe, est prévue le 24 avril prochain pour tenter de débloquer la situation. Cette semaine, à la télévision, Shinzo Abe a joué son va-tout : souhaitant malgré tout la conclusion d’un accord, il a menacé de tout arrêter si les Américains restaient sur leurs positions : « Si le Japon et les États-Unis ne parvenaient pas à un accord, a déclaré le Premier ministre très marqué à droite, le TPP pourrait s'effondrer ». C’est que Tokyo aurait éventuellement une autre carte à jouer. Malgré des relations diplomatiques brûlantes, le Japon peut encore envisager un rapprochement économique avec la Chine, son premier partenaire commercial, et la Corée du Sud. Un tel projet, largement hypothétique, pourrait voir naître la plus riche zone de partenariat commercial mondiale dont les États-Unis seraient totalement exclus.
(1) Le Choc des empires, Collection Le Débat, Gallimard, mars 2014.