Rencontre avec Nosfell en ce troisième jour du Printemps de Bourges 2014 :
Nosfell, d’où vient ce nom ? On dirait quelque chose d’occulte…
C’est une longue histoire… Pour commencer, ma famille est berbère. Ils ont évolué au Maroc, ma grand-mère y était chamane, et elle s’occupait des morts. Elle était importante là bas ; ça me faisait fantasmer. De même, alors que moi je grandissais à Saint-Ouen, j’étais fasciné par l’Amérique, surtout par l’idée de Nostrum Remedium, de ces gens qui traversaient les États-Unis pour vendre des potions. Et moi, je collectionnais les étiquettes de ces panacées, elles étaient magnifiques, mystiques. Très vite, j’ai pensé que ma famille marocaine, c’était ça aussi. Ça a fait son chemin, c’est resté, je me suis fait appeler Nostrum Fellow, parce que je n’écoutais que des anglosaxons. Comme tout le monde, j’imitais ceux que j’admirais. Puis, je me suis aperçu que ça me dérangeait que ça soit en anglais, du coup j’ai contracté pour devenir Nosfell.
Et votre langage, pendant ce temps ?
C’est au cours de ce processus que j’ai élaboré le klokobetz, et que j’ai pensé mon projet. C’était il y a dix ans. Je voulais faire trois albums et une annexe, et dans chaque album, treize titres. Ces titres mettent en scène des personnages que j’ai créés dans l’univers que je construisais enfant. Et il y a annexe, une forme d’opéra, dans laquelle je résous l’équation narrative des treize personnages des trois albums. Le plus dur, c’était de trouver l’équilibre entre la nécessité de faire de la musique, et celle – parce que c’était bien une nécessité pour moi – d’aboutir cette histoire.
Quand j’étais enfant, mon père, qui est polyglotte, avait une vie nocturne agitée. Il me réveillait parfois dans des trips mystiques, et on se faisait des colloques nocturnes. Il me racontait sa vie fantasmée, contée, dans laquelle il y avait des dialogues dans des langues étrangères. Il m’a fait, des fois, recopier des listes de mots que j’ai conservées, comme des amulettes. Plus tard, alors que je faisais des études de langues, j’avais gardé les listes, et je me les répétais. C’est la base de ce langage que j’ai constitué.
On peut le décoder ?
Oui, bien sûr, mais je ne fournis pas de lexiques, que des indices. J’ai intégré ce langage à mon travail vocal, musical, à mes prestations scéniques, où il trouvait tout son sens. J’ai souvent correspondu avec des étudiants en linguistique, j’ai même fait des conférences.
Et vous l’avez abandonné dans votre dernier album…
Dix ans sont révolus, et j’ai l’impression d’être allé au bout de ce projet. Je ne veux pas que ce soit mon fonds de commerce. Je veux revenir à quelque chose d’assez simple, surtout après la diversité des expériences que j’ai vécues, comme de composer pour de la danse. Ecrire dans cette langue me contraignait à être dans une interprétation très expressionniste, pour faire naître des sensations. J’avais besoin de travailler sur d’autres pistes dans Amour Massif. C’était un projet total, et l’opéra, ainsi que le livre fourni avec, synthétise tout cet univers, et présente même la graphie de ce langage.
J’ai l’impression que vous venez de faire tomber une muraille qui vous rendait très mystérieux, comme si vous veniez d’ailleurs.
C’était l’idée ! Mais je garde mon nom, et le costume du personnage : c’est mon tatouage. C’est ancré dans ma peau et je l’assume parfaitement.
Vous avez évoqué votre travail de compositeur pour Philippe Decouflé. Est-ce quelque chose qui est venu de façon naturelle ?
J’ai toujours été lié à la danse : mes prestations scéniques mobilisent beaucoup mon corps, il est très impliqué. Ma femme est danseuse par ailleurs. J’ai rencontré Philippe alors que je venais de finir mon grand projet, et j’avais besoin de faire une pause. Philippe voulait du sang neuf. Je voulais être autrement en danger, travailler sur mon égo, me mettre au service de quelqu’un.
J’ai appris beaucoup au niveau des techniques du spectacle. C’est un homme intéressant, il est très contemporain, parfaitement dans l’air du temps. Il a une bonne lecture de ce qui se passe autour de nous. Ses spectacles restent très accessibles sans être dans le divertissement, et j’avais vraiment envie de vivre sa façon de travailler, de constituer une équipe, le syncrétisme de toutes les énergies comme dans une grande famille. D’autant qu’il m’a laissé lui faire de vraies propositions ; j’ai été collaborateur, et eu beaucoup de libertés. Mon objectif, c’était bien sûr de le satisfaire.
Ça a instauré une transition entre la fin d’une ère et votre tout dernier album Amour Massif, beaucoup plus épuré.
Ça me ressemble plus. On est moins dans cette frénésie des morceaux qu’on composait avec Pierre le Bourgeois. C’était très touffu, plein de tiroirs, de virages. Je voulais être plus contemplatif, en bossant moi-même sur mes arrangements. J’ai collaboré avec le trio Journal Intime pour les cuivres… C’était un délice, ils m’ont proposé de toutes autres textures. J’ai également travaillé avec un auteur que j’adore pour les paroles. Cet album prolonge et nourrit mon répertoire, il peaufine des choses, et me met un peu en danger.
On dirait que vous partez sans a priori quand vous créez, que vous êtes plutôt adepte des rencontres et souhaitez prendre en compte des externalités. C’est le cas ?
Oui, c’est vrai que je rassemble du matériel, des notes, des vieux morceaux, et des rencontres, de pote de pote. Mais j’écris tout avant. Les arrangements et les questions liées à l’interprétation se font après.
Et donc vos projets ? Vos dates ?
J’ai fait quatre créations avec Philippe, pour l’instant il n’y en a qu’une seule en CD, je vais peut-être me replonger dedans. Puis, actuellement, je suis en tournée partout en France, et à Paris le 12 novembre au Trianon. Après, tout le reste est très balbutiant ou très secret…
Anaïs Lapel
Nosfell :
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