V’là le printemps…il y a les beaux jours, les envies de terrasses, de changer sa garde-robe, mais c’est aussi la haute saison des grandes expositions (dont vous avez un aperçu ici), dans lesquelles on adore s’enfermer quand les éléments de l’hiver tendent à persister. Nous revoici donc avec une exposition à ne rater sous aucun prétexte – ou qui sera justement le prétexte de votre prochaine escapade parisienne: Bill Viola au Grand Palais, à voir jusqu’à fin juillet.
« Je suis né en même temps que la vidéo » déclare l’artiste qui fut l’assistant de celui que l’histoire considère comme l’inventeur de l’art vidéo, Nam June Paik.
L’histoire de l’art vidéo commence en réaction à l’art commercialisable, aux dérives du pop art, c’est un art militant et un anti-art. Et c’est dans ce contexte que s’enracine le projet artistique de Bill Viola, substituer aux images de la société du spectacle sa quête métaphysique et son exploration du phénomène de perception.
L’immersion du spectateur dans un univers visuel et sonore fait la force et la fascination des installations de Bill Viola. Cette interaction entre le spectateur et la vidéo est une clef de voûte du travail de l’artiste depuis ses premières œuvres – où il est lui-même le performateur qui nous invite à le suivre dans la sphère intime de ses drames psychologiques – puis dans ses installations à grande échelle depuis les début des années 1980, où nous nous trouvons au cœur même de l’action, au même niveau de l’image. Il me vient ici à l’esprit les vers de Paul Valéry, inscrits sur la porte du Palais de Chaillot : « Il dépend de celui qui passe – Que je sois tombe ou trésor – Que je parle ou me taise – Ceci ne tient qu’à toi – Ami n’entre pas sans désir », en écho aux réflexions de Viola en 1989 « le lieu le plus important pour l’existence de mes œuvres n’est pas la salle de musée ou la salle de projection, ou encore l’écran de télévision ou vidéo, mais l’esprit du spectateur qui l’a vue. » Et toi, spectateur, dont le désir de découverte et d’expérience sera nourri par ce voyage aux confins de l’art vidéo, tu n’auras aucune hâte à parcourir ces mondes obscures et il te faudra donc bien dédier une demie journée à cette exposition parisienne, dont tu ne sortiras pas indemne.
Un autre élément ajoute à la fascination qu’exercent les œuvres de Bill Viola et vous guidera dans les salles du Grand Palais : la figure humaine est souvent évanescente, présences certes mais souvent fantomatiques, de « The Reflecting Pool », première rencontre de l’exposition, au « Chott el-Djerid (A Portrait in the Light and Heat) » (1979) ou « Walking on the Edge » (2012) sur le phénomène d’hallucinations dans le désert, en passant par « The Veiling » (1995) – je cite volontairement les pièces dans un ordre achronologique puisque c’est leur ordre d’apparition dans l’exposition. Troublante présence de notre corps dans l’espace des installations de Bill Viola comme troublantes apparitions de ces figures, immergée comme en apnée dans « Ascension » (2000) ou « Dreamers » (2013), qui concluent le parcours.
Les éléments, l’eau principalement, mais l’air et le feu également, sont les doubles d’une quête technologique de la perception. Bill Viola est un ingénieur; le médium et ses développements lui fournissent de nouvelles couleurs, textures d’images, de sons et de mouvements qui enrichissent sans cesse sa palette. L’eau est un élément fondateur chez Viola : non seulement elle modifie les sons, trouble la vue, élimine la pesanteur du corps, mais elle est également métaphore de la vie et de la mort, symbole de l’inconscient et rite de purification ; elle connecte les différents niveaux de lecture de ses œuvres, technique, physique et métaphysique. L’artiste a de nombreuses fois expliqué l’origine de cette omniprésence et récurrence de l’eau dans ses travaux par un épisode de son enfance: à l’âge de 6 ans, il se jette à l’eau, sans savoir nager, il se laisse alors emporter vers le fonds, sans crainte, faisant l’expérience incroyable de cet univers particulier dont il se souviendra quand il s’attachera à sonder le phénomène de la perception.
Quête du temps, quête de soi, comme le souligne Kathleen Bühler, co-curatrice de l’exposition « Bill Viola: Passions » qui vient d’ouvrir ses portes au Musée des beaux-arts de Berne en parallèle de la rétrospective parisienne, « toute quête de la durée et de la perception du temps mène tôt ou tard à la question de l’éphémère de notre existence. Et ici Bill Viola rejoint les chefs d’œuvres de l’art occidental, qui furent souvent source d’inspiration pour des œuvres spécifiques ». Ainsi, dans « The Quintet of the Astonished », réalisé en 2000 dans le cadre d’un projet de la National Gallery de Londres qui invitaient plusieurs artistes contemporains (dont également Jeff Wall) à répondre à des œuvres historiques de leur collection, Viola prend comme point de départ « Le couronnement d’épines » (1495-1500) de Hieronymus Bosch – il exprime les tourments de l’humanité sans en exposer la cause. Vie, mort, transcendance sont au cœur de l’œuvre profondément existentielle de Bill Viola. Voici bien une exposition dont on ne sort pas indifférent, et donc à consommer sans modération !
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Informations pratiques:
BILL VIOLA AU GRAND PALAIS
05 Mars 2014 – 21 Juillet 2014
Commissariat : Jérôme Neutres , conseiller du Président de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais et Kira Perov, Executive Director du Studio Bill Viola
Grand Palais, Galeries Nationales
3, avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris
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BILL VIOLA : PASSIONS
12 avril – 20 juillet 2014
Commissariat : Kathleen Bühler, Commissaire Kunstmuseum Bern et Martin Brauen, Commissaire
Musée des Beaux-Arts de Berne
Hodlerstrasse 8 – 12, 3000 Bern
(Bill Viola, « The Sleep of Reason », 1988m installation vidéo sonore)
(Bill Viola, « Fire Woman », 2005, projection vidéo couleurs haute définition)