- Monsieur Van Glow, murmure Peter en effectuant plusieurs révérences, mais personne n’a parlé de partir… Je suis bien sur votre valet, votre plus humble serviteur, et je fais tourner le mieux possible votre belle plantation. A vos pieds, vous pouvez admirer Johanna, la fille de mon plus grand aventurier : John Bonhomme.
- Hum, lance Van Glow d’un ton dédaigneux. Tout le monde sait, ici, que le héros, c’est moi.
- Certes, certes, répète Peter en tentant d’être gai comme un pinson.
Mais l’homme, à l’allure ancestrale, n’a d’yeux que pour le corps recroquevillé de Johanna.
- Elle est bien belle, dit-il, j’aimerais me la garder.
Johanna, à ces mots, a envie de hurler, d’appeler à l’aide : toutes ces sortes de choses, qui, chez une nature particulièrement émotive, ne peuvent être retenues bien longtemps. « La force de caractère. La force de caractère », pense-t-elle en se remémorant, dans un même temps, la trinité de Saint Augustin et le dernier résultat de la course de chevaux de son hippodrome préféré.
- Ah, vous n’êtes pas drôles, vous autres, se lamente Van Glow.
Il apparaît nettement, si l’on regarde avec attention les yeux étincelants du propriétaire, qu’il réprime ses larmes.
- On ne peut jamais jouer.
Et les pas cloutés, s’éloignent, nostalgiques, dans un phrasé si mélancolique, qu’il est possible que le lecteur laisse couler une larme ou deux.
Pendant ce temps, à Tahiti...
- Ah mon ami, dit John en riant. J’ai passé une nuit si étrange ! J’ai rêvé que j’étais un cow-boy, figure-toi, une vraie légende de l’ouest.
Siméon Langlette s’esclaffe. Ce nouveau surfer, débarqué d’on ne sait trop où, l’amuse. Il faut dire que John, dans le feu de l’action, gagne en ridicule. Pour toute planche de surf, il a une jument qui patauge dans les vagues avant de s’écrouler, invariablement, dans l’écume, en ressortant le plus souvent du fond une quantité impressionnante d’algues et quelques sacs plastiques. La réputation de John s’est très vite étendue jusqu’à dépasser la seule île de Tahiti.
Siméon Langlette, qui dirige le positionnement des secours, avait vite saisi le filon. Il s’arrangeait toujours pour que John surveille une plage particulièrement grande, où le flot de touristes et de locaux, prévenus de l’événement, puissent assister à la représentation aux premières loges. Depuis l’arrivée de l’étrange John à Tahiti, on comptait une recrudescence de l’amour pour la mer, et la plage, devenue orgueilleuse, se paraît chaque matin d’une dorure nouvelle, d’un style plus glamour, que les crottins tendaient pourtant à faire disparaître.
- Ah, tu sais, continue John, je continue à me dire qu’un jour, on viendra me chercher. Et je serai un héro, un vrai, un fort, un dur. Et ma jument, enfin, pourra s’exprimer dans tous les coins du monde sans jamais boire la tasse.