Dans "La guérison du monde" (Fayard, 2012) de Frédéric Lenoir, je retrouve, dans le premier volet, le contenu d'un livre d'Amin Maalouf, "Le dérèglement du monde" (Grasset, 2009) et, dans le second volet, celui d'un livre de Jean-Claude Guillebaud, "Le commencement d'un monde" (Seuil, 2008). Ainsi, Frédéric Lenoir, parvient-il, sans la renier, à dépasser la crise dénoncée par Maalouf, et à concrétiser les solutions entrevues par Guillebaud. En s'appuyant sur des expériences concrètes, il montre l'existence d'une autre logique que celle, quantitative et mercantile, qui conduit notre monde à la catastrophe: une logique qualitative qui privilégie le respect de la Terre et des personnes au rendement, la qualité d'être au "toujours plus". Lenoir plaide aussi pour une redécouverte éclairée des grandes valeurs universelles- la vérité, la justice, le respect, la liberté, l'amour, la beauté - afin d'éviter que l'homme moderrne, mû pat l'ivresse de la démesure, mais aussi par la peur et la convoitise, ne signe sa propre fin.
Luc Collès
Je reproduis ici l'avant-propos de ce merveilleux livre :
Peut-on être heureux dans un monde malheureux? J'ai consacré mes derniers ouvrages à la question de la sagesse personnelle, qui permet à chacun de trouver davantage de sérénité, de sens, de joie. Loin d'être égoïste, ce travail sur soi conduit nécessairement à une amélioration de la qualité de nos relations avec les autres et le monde. Et nous souhaitons pour le monde ce que nous souhaitons à nous-même de meilleur : la paix et l'harmonie. Or nous faisons tous le constat que le monde va de plus en plus mal.
De tous les maux qui meurtrissent la planète et l'humanité, la plupart des politiques et des médias semblent n'en retenir qu'un : la crise économique. Et ils ne voient bien souvent qu'un unique remède miracle pour y répondre: le retour de la croissance par la relance de la consommation.
Notre monde est malade. Mais la crise économique et financière actuelle n'est qu'un symptôme de déséquilibres beaucoup plus profonds. Nous verrons tout au long de cet ouvrage que la crise du monde moderne a des racines lointaines et des ramifications multiples. Et la solution qui nous est proposée est à la fois trop partielle et parfaitement illusoire sur le long terme, puisque les ressources de la planète sont limitées et que l'accroissement brutal de la consommation au cours des dernières décennies constitue précisément un des éléments du problème global que nous sommes censés résoudre.
Pour guérir le monde, il ne suffit pas de se concentrer sur un seul symptôme et de penser que, en le traitant avec une bonne dose d'antibiotiques, tout repartira comme avant. Il convient de considérer le monde pour ce qu'il est : un organisme complexe et, qui plus est, atteint de nombreux maux: crise économique et financière, certes, mais aussi crise environnementale, agricole, sanitaire; crise psychologique et identitaire; crise du sens et des valeurs; crise du politique, c'est-à-dire du vivre-ensemble, et cela à l'échelle de la planète. La crise que nous traversons est systémique: elle "fait système" et il est impossible d'isoler les problèmes les uns des autres ou d'en ignorer les causes profondes et intriquées. Pour guérir le monde, il faut donc tout à la fois connaître la véritable nature de son mal et pointrer les ressources dont nous disposons pour le surmonter. C'est ainsi que j'ai conçu ce livre.
La première partie propose un diagnostic de la maladie qui affecte notre monde : secteur par secteur, mais aussi de manière transversale, en essayant de comprendre ce qui relie toutes les crises sectorielles entre elles. Il m'est apparu dès lors nécessaire d'ouvrir cette analyse par un regard historique sur les immenses mutations auxquelles notre monde s'est trouvé confronté au cours des deux derniers siècles: fin de la ruralité et explosion urbaine, accélération de la vitesse, boom démographique et allongement de la durée de vie, globalisation de l'information et de l'économie, expansion mondiale des droits de l'homme et de la démocratie. Nous pourrons ainsi comprendre comment ces mutations extrêmement rapides - et qui n'ont fait que s'accélérer au cours des trois dernières décennies - ont bouleversé non seulement nos modes de vie, mais aussi notre équilibre psychologique et nos fonctions cérébrales. L'accélération du temps vécu et le rétrécissement de l'espace qui en résulte constituent deux paramètres, parmi d'autres, d'une mutation anthropologique et sociale aussi importante à mes yeux que le passage, il y a environ douze mille ans, du paléolithique au néolithique, quand l'être humain a quitté un mode de vie nomade au sein de la nature pour se sédentariser et construire les premiers villages...qui deviendront cités, puis royaumes, empires et civilisations.
Au terme de ce processus millénaire de concentration et de reliaison, nous assistons aujourd'hui, pour la première fois dans l'histoire humaine, à l'avènement d'une civilisation à l'échelle de la planète. Nous sommes tous interdépendants.Mais cette civilisation n'est pas suffisamment le fruit d'un dialogue des cultures et reste trop exclusivement portée par les bouleversements technologiques qui l'ont produite. Parfois pour le meilleur (démocratie et droits de l'homme), mais parfois aussi pour le pire (idéologie consumériste, financiarisation de l'économie; homogénéisation culturelle, etc.), elle est le résultat d'une hégémonie de l'Occident, de sa maîtrise technique, de certaines de ses valeurs, bonnes ou mortifères. Elle reste aussi, de manière paradoxale, menacée par des modèles sociaux hérités de la révolution du néolithique et qui deviennent encore plus destructeurs à l'échelle planétaire: coupure de l'homme et de la nature, domination de la femme par l'homme, absolutisation des cultures et des religions, etc.
Le processus de la guérison du monde passe d'abord par une critique lucide et argumentée des logiques mécanistes et mercantiles qui sont à l'origine de bien des dérèglements de la Terre et des sociétés humaines. L'homme et la planète qui l'héberge, en effet, ne sont pas des marchandises. La vie n'est pas seulement quantifiable. La guérison du monde passe aussi par une reformulation des valeurs éthiques universelles à travers un authentique dialogue des cultures et par une refondation du lien entre l'être humain et la nature, l'homme et la femme, l'individu et la transcendance.
Nous verrons alors que bien des voies et des expériences de guérison s'offent à nous. Je cite ainsi de nombreux exemples d'hommes et de femmes, d'associations, d'entreprises ou d'ONG qui ont mis en place, de manière concrète, des voies alternatives permettant de respecter et de guérir la Terre, l'humanité, la personne humaine. Je montrerai aussi comment le chemin de la guérison passe à l'intérieur de chacun de nous, non seulement grâce à une conversion de notre regard et parfois de nos modes de vie, mais aussi par un nécessaire rééquilibrage entre notre vie active et notre vie intérieure, entre notre cerveau logique et notre cerveau intuitif, entre nos polarités masculines et féminines. Car, sans une transformation de soi, aucun changement du monde ne era possible. Sans une révolution de la conscience de chacun, aucune révolution globale n'est à espérer. La modernité a mis l'individu au centre de tout. C'et donc aujourd'hui sur lui, plus que sur les institutions et les superstructures, que repose l'enjeu de la guérison du monde. Comme Gandhi l'a si bien exprimé: "Soyez le changement que vous voulez dans le monde".
Par-delà tous les rafistolages éphémères d'une pensée et d'un système à bout de souffle, une immense révolution est en marche: celle de la conscience humaine. Elle ne concerne encore qu'une minorité d'individus et les signaux qu'elle émet sont faibles. Mais, parce qu'elle est mue par les deux grandes forces qui donnent sens à l'univers - la vie et l'amour-, rien sans doute ne pourra l'arrêter. Seul le temps nous est désormais compté. Car nous savons aussi que les comportements égoïstes et irresponsables continuent leur oeuvre de sape des sociétés humaines et de destruction de écosystèmes de la planète. Nul ne sait où ni quand se situera le point de non-retour. Raison de plus pour aller de l'avant!
Frédéric Lenoir, La guérison du monde, Paris, Fayard, 2012, pp.11-15