Marc Chagall (Vitebsk, 1887-Saint-Paul de Vence,1985),
Bouquet aux amoureux volants, c.1934-47
Huile sur toile, 130,5 x 97,5 cm, Londres, Tate Gallery
© ADAGP, Paris & DACS, London
2013 a marqué le cinquantenaire de la mort de Francis Poulenc, événement qui a été fêté au disque comme à la scène avec plus ou moins de bonheur. Harmonia Mundi nous offre, en ce printemps, deux enregistrements consacrés à ce compositeur dont la cote auprès du public ne semble pas devoir se dévaluer, ce qui ne peut que réjouir ceux qui, comme votre serviteur, nourrissent pour lui quelque tendresse : le premier, réunissant les Sept Répons de Ténèbres et le Stabat Mater dans une très belle lecture dirigée par Daniel Reuss devrait être chroniquée d'ici peu par le blog ami Sprezzatura e Glosas, auquel je vous renvoie, le second, dont il va être question ci-après, est une anthologie de mélodies intitulée Les anges musiciens, qui réunit la soprano Sophie Karthäuser et le pianiste Eugene Asti.
Avec un catalogue de près de deux cents œuvres, la mélodie occupe une place privilégiée dans la production de Francis Poulenc, qui va pratiquer ce genre de 1913, date de Viens ! Une flûte invisible, composée pour le mariage de sa sœur, à l'ultime Nos souvenirs qui chantent en 1962. Le compositeur y trouve un moyen idéal pour exprimer toutes les facettes d'une personnalité multiforme et complexe, en abordant les thèmes qui lui sont chers tout en se mettant au service d'un art qu'il goûtait particulièrement : la poésie. Il faut souligner que s'il mit en musique des auteurs anciens, comme Pierre de Ronsard dont il offrit Àsa guitare à Yvonne Printemps en 1935, sa préférence allait principalement à ses contemporains avec la plupart desquels il était en relation, qu'il s'agisse, entre autres, de Paul Éluard, de Guillaume Apollinaire qu'il eut le temps de côtoyer brièvement avant que la grippe espagnole l'emporte en 1918, de Louis Aragon ou de Louise de Vilmorin.
Si l'amour est très présent et constitue, non sans y semer son lot de doutes et d'angoisses, la ligne de force des deux cycles
majeurs présents dans cette anthologie que sont Tel jour telle nuit (1937), empreint d'un recueillement qui souvent s'ouvre sur une gravité frémissante, et Fiançailles pour
rire (1939),
De ces univers contrastés, Sophie Karthäuser et Eugene Asti, deux musiciens habitués à travailler ensemble, nous livrent une
vision d'une poésie et d'une élégance raffinées souvent assez irrésistibles. Soulignons tout d'abord la qualité de la ligne de chant, merveilleusement souple et lumineuse, mais qui ne se
cantonne jamais à cette joliesse décorative qui, par l'ennui qu'elle finit immanquablement par distiller, est un des plus sûrs ennemis du répertoire de la mélodie française.
Je vous recommande donc ce récital très maîtrisé qui constitue un bel hommage aux différents visages de la muse de Poulenc et, au-delà, à la mélodie française, un genre envers lequel Sophie Karthäuser dit nourrir de réelles affinités et qui lui convient visiblement tout à fait. On espère la voir y revenir fréquemment à l'avenir en la remerciant, ainsi qu'Eugene Asti, de nous avoir offert aujourd'hui une bouffée de cette mélancolie qui donne du bonheur, celle que Victor Hugo définissait comme la « joie d'être triste. »
Sophie Karthäuser, soprano
Eugene Asti, piano
1 CD [durée : 66'12"] Harmonia Mundi HMC 902179. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien ou au format numérique sur Qobuz.com
Extraits proposés :
1. « Quelle aventure ! » extrait de La courte paille FP 178
Texte de Maurice Carême
2. « C. » extrait de Deux poèmes de Louis Aragon FP 122
3. « Il vole » extrait de Fiançailles pour rire FP 101
Texte de Louise de Vilmorin
4. « Nous avons fait la nuit » extrait de Tel jour telle nuit FP 86
Texte de Paul Éluard
5. Les chemins de l'amour, FP 106
Texte de Jean Anouilh
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Un entretien avec Sophie Karthäuser à propos de ce projet Poulenc et de l'univers de la mélodie :
Illustrations complémentaires :
La photographie de Francis Poulenc est de Denis Manceaux.
La photographie de Sophie Karthäuser est d'Alvaro Yanez © Orfeo artist management