Ces 600 milliards qui manquent à la France. Enquête au coeur de l'évasion fiscale, par Antoine PeillonLe Seuil, 2012, 187 p., 15 euros.L'heure des choix
C'est un livre explosif que met sur la place publique Antoine Peillon, grand reporter au journal
La Croix. Bénéficiant d'informations de toute première main, il montre comment la banque suisse UBS organise depuis la France un système massif d'évasion fiscale.Afin de mettre en contexte les informations incroyables auxquelles il a eu accès, le journaliste a croisé différentes sources pour estimer à 590 milliards d'euros l'ensemble des avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux, dont 220 milliards appartenant aux Français les plus riches (le reste étant le fait d'entreprises). Environ la moitié de ce total (108 milliards) serait dissimulée en Suisse, la dernière décennie voyant fuir environ 2,5 milliards d'avoirs par an. Depuis 2000, UBS France aurait privé le fisc français de 85 millions d'euros en moyenne chaque année, ce qui montre son importance, mais souligne également combien d'autres établissements bancaires participent à ce genre d'activités.
" Fichier vache "Comment fait la banque pour mener ses opérations ? Environ 120 chargés d'affaires suisses seraient présents clandestinement en France pour démarcher les grosses fortunes hexagonales, ce qui est rigoureusement interdit par la loi mais réalisé, d'après Antoine Peillon, en toute connaissance de cause par la maison mère en Suisse. Chaque commercial est muni d'un document, le manuel du
Private Banking,
" véritable guide en évasion fiscale ".Afin d'être rémunéré en proportion du chiffre d'affaires qu'ils rapportent, les commerciaux sont bien obligés d'enregistrer à un moment ou un autre leurs transactions. Ils le font dans une comptabilité cachée baptisée " carnets du lait " que l'on peut trouver dissimulés dans des fichiers Excel intitulés " fichier vache ". On aura compris l'analogie : la France est une vache fiscale dont il faut traire le lait…Les commerciaux présents en France utilisent les mêmes techniques que celles mises en évidence par la justice américaine : UBS organise des événements mondains auxquels ils invitent clients et prospects. Dans les documents récupérés par Antoine Peillon, on trouve parmi les clients les noms de footballeurs connus, et même d'un haut responsable du football international pour lequel une commerciale note, après un rendez-vous à
Monaco en 2002, que l'entretien fut
"long et difficile, mais fructueux ", ou encore un navigateur, un auteur réalisateur de cinéma et…
Liliane Bettencourt. Celle-ci est tout bonnement accusée d'avoir enfoui 20 millions d'euros entre 2005 et 2008, à l'occasion de transferts entre la France, la Suisse et l'Italie par l'intermédiaire de comptes UBS et BNP Paribas, avant de finir, affirme l'auteur, dans des enveloppes remises à des personnalités de droite.ImpunitéAntoine Peillon lance de nombreuses et graves accusations mais il est sûr de ses sources : des cadres écoeurés d'UBS en France, en Suisse, mais aussi les services secrets français. Les preuves dont ces informateurs disposent ont été transmises à plusieurs autorités de régulation. Le parquet a été saisi, mais il ne bouge pas, assurant une forme de protection aux gros fraudeurs. C'est pour lever cette impunité que le journaliste a décidé d'écrire ce livre.
Ces 600 milliards qui manquent à la France. Enquête au coeur de l'évasion fiscale, par Antoine Peillon
Le Seuil, 2012, 187 p., 15 euros.