L'opium

Publié le 26 avril 2014 par Dubruel

L’ORIENT (d'après Maupassant)

Je ne puis aborder l’hiver

Sans songer à l’un de mes amis,

Matthieu, qui vit maintenant

Aux frontières de l’Asie.

En décembre, l’année dernière,

J’avais trouvé mon bonhomme

Couché sur un divan

En plein rêve d’opium.

Matthieu était habité par l’Orient :

-« Comme ce pays vous prend !

Comme vous pénètrent jusqu’au cœur

Ses séductions invisibles,

Ses sensations invincibles !

Ah ! L’opium et sa délicieuse torpeur ! »

-« Pourquoi prends-tu ce poison ?

Quel bonheur donne-t-il donc ? »

-« L’opium console de tout.

Avec l’opium, je comprends tout.

Seule me guérit cette drogue d’Orient.

Quand je prends de l’opium, je m’étends.

J’attends une heure,

Parfois deux heures.

Je sens d’abord de légers frémissements

Puis un vibrant engourdissement.

Seule ma tête pense

Avec un bonheur immense

Et une lucidité infinie.

Je raisonne, je déduis,

Je découvre aussi des idées

Qui ne m’avaient jamais effleuré.

Je descends en de nouvelles profondeurs.

Je monte vers de merveilleuses hauteurs.

Je flotte dans un océan de voluptés.

Je savoure une incomparable félicité,

L’ivresse, l’idéale jouissance

De la pure intelligence.

Qu’importe la pensée pratique,

Je n’aime que l’illusion onirique.

Sans rêve, je serais conduit au suicide

Du fait des rudesses de la vie intrépide.

Mais là-bas quand je vivrai en Orient

À l’abri des malheurs,

Je me reposerai calmement

Dans une belle demeure…

Laisse-moi maintenant. », me dit-il enfin.

Je m’en allai.

Je ne le revis plus jamais.

Il m’adressa un simple mot en juin :

« Je suis heureux ! »

Cette lettre de Mathieu

Sentait l’encens

Et d’autres parfums troublants.