Printemps de Bourges : J4, interview d’Angélique Kidjo

Publié le 26 avril 2014 par Jebeurrematartine @jbmtleblog

D’abord un peu naïve, j’ai demandé une interview avec elle après avoir écouté 2 ou 3 morceaux, puis, lorsqu’elle a accepté, j’ai approfondi la question. Pauvre de moi ! Angélique Kidjo n’est pas n’importe qui : femme influente et engagée dans de nombreuses missions humanitaires, elle est réputée comme l’une des femmes les plus influentes d’Afrique, a collaboré avec les plus grands tels que Santana ou Phil Glass…

De toute évidence abattue à l’idée que je ne pourrai pas tout savoir à son sujet avant l’interview, je commence cette rencontre en faisant l’aveu de mon erreur mais en lui témoignant tout mon respect. Je décide alors de commencer autour de la façon qu’a eu le Printemps de Bourges de ranger une artiste avec une carrière aussi riche sous la catégorie une peu fourre-tout de "World Music".

© Anaïs Lapel

J’avais tapé juste. Ce fut ma seule question. Face au plaidoyer énoncé par cette femme impulsive et brillante, je préfère me taire et vous faire partager ses mots, qui m’ont témoigné, dans le cadre du festival, d’une toute autre approche créative…

« Oui. World Music, c’est une prison, qu’on a créée pour nous encore une fois. C’est une autre personne, qui a le pouvoir, qui raconte notre histoire, et nous met dans des cases. […] Ce n’est certainement pas les Africains qui ont choisi ce terme. Et c’est le seul mot que nous avons maintenant. D’ailleurs, combien sont passés sur les radios aux heures de grande écoute ? Alors, que notre musique, celle d’Afrique, dite aujourd’hui World Music, est majeure dans la construction de toutes les musiques aujourd’hui. Sans les esclaves, pas de blues, de facto, pas de pop, pas de r’n’b, pas de hip hop. Même au Brésil, sans les tambours et les rythmes africains, il n’y aurait pas de samba ! Salsa, pareil !

On écoute de la musique aujourd’hui dans cette hypocrisie, dans ce mensonge, qui réconforte tout le monde. Je remercie le ciel tous les jours d’être née en Afrique, parce que cette culture, quand je suis arrivée en Europe, moi je l’avais dans mes gênes, dans ma tête. Et j’étais décidée à ce que personne ne me mette dans un bocal !

Et j’en remercie mon père, qui s’est battu, contre tout le monde, pour que nous puissions être qui nous voulons. Il s’est battu contre cette société conservatrice, en Afrique et en Europe, qui a une place bien précise pour chacun de nous, surtout pour les femmes, ainsi que pour les Noirs. Il me disait toujours :

« Ne reviens jamais à la maison en me disant que tu as échoué parce que tu es noire. Je te filerai une baffe ! Et si tu joues à la conne, c’est que tu l’as choisi ! »

C’était un défi constant. Alors ces termes, World Music, Musica Mundial, je ne rentre pas dedans. Ma tête n’y est pas. C’est des cons ceux qui nous ont appelé World Music ! […] La musique, c’est évident qu’elle se partage, on est dans un monde sans frontière ! Ça n’a pas de sens de nous appeler World Music : la musique ça n’a pas de couleur, pas de nationalité, et même si ce terme laisse sous-entendre qu’il est bien-pensant, il est encore en train de marquer notre différence, en train de diviser.

Moi je me moque de ces foutues catégories. Dès que quelqu’un veut chanter, je chante. Je peux chanter avec tout le monde. Donne-moi la mélodie, j’y vais ! C’est aussi simple que ça ! Je veux tout faire, je peux tout faire, tant que je suis inspirée. D’abord j’écris, j’écris, puis je choisis. Prenez mon dernier album Eve. J’y pensais depuis 2005 et ce voyage au Tchad, pour rencontrer les femmes réfugiées du Darfour… Mon sommeil a changé depuis… La cruauté non plus n’a pas de frontière.

Mais j’avais toujours cette voix qui me disait : « On n’est pas des victimes éternelles ! »

Alors, en 2011, quand j’ai commencé à écrire, je voulais parler de ces femmes, que j’écoute à chaque fois que je vais en Afrique. Au Kenya, je suis allée dans un village où il y avait une femme enceinte de cinq mois, qui avait un bébé qui ne mangeait pas et qui ne sera sûrement jamais adulte… Ça me révolte. Je vais dans un deuxième village, et les problèmes sont les mêmes, mais la rencontre est différente. Ici les femmes chantent, et quand je les entends, j’ai des frissons. C’est ça que je veux pour mon album. Ce sont les plus pauvres parmi les pauvres, mais elles ont cette beauté ! C’est une maladie des Occidentaux de tout penser, conceptualiser, cérébraliser. Les choses ne sont pas si compliquées. Il faut parler de ce qui nous touche, c’est tout ! »

 Anaïs Lapel


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