Georges DARIEN : Maximilien Luce – peintre ordinaire du Pauvre

Par Bruno Leclercq

Maximilien LUCEParGEORGES DARIEN
Pas un artiste-peintre. Un peintre. Rien chez lui du cabotin, du faiseur, du metteur en scène qui sait faire valoir ses toiles avec la roublardise d'une patronne de mauvais lieux exhibant ses pensionnaires. Il ignore les habiletés des malins qui savent faire l'article et qui battent un quart majestueux devant l'étalage de leur gloire. Le manque d'adresse dont il fait preuve dans l'exposition de ses oeuvres, il l'apporte encore dans le choix des passages qu'il évoque, dans la façon dont il les traite. Il a le mépris du sujet, de l'illustration anecdotique ; il a trop d'estime pour les fabricants de chromos pour leur faire une concurrence déloyale ; il ne laisse pas de place sur sa palette pour le macaroni littéraire.
Seulement, ses tableaux vous empoignent tout de même. Peut-être parcequ'il y met de la vie, à défaut des sentimentaleries spirituelles et bèbêtes, la vie des choses et la vie des hommes, la vie âpre, crispée et railleuse – douce aussi – Ce qu'ils représentent, ces tavbleaux ? Des choses très simples, des coins de Paris, de la banlieue ; la Bièvre, la Butte aux Cailles, Gentilly et St-Ouen, Montmartre et le Pont-Neuf, le Pont-Neuf encore et la rue Mouffetard. Des intérieurs aussi ; oh des intérieurs pas chics : des mansardes de pauvres, des logements d'ouvriers – d'ouvriers que Luce nous fait voir au travail encore, nègres blancs rageusement courbés sous le bâton de l'exploitation, esclaves du Salariat, esclaves frémissants, par exemple, et pas résignés pour un sou.
Superbes, quelques-unes de ces toiles. Une, surtout, que le peinte achève : un ouvrier, chez lui, aidé de sa femme, procède aux dernières ablutions. Oui, la bête humaine se décrasse. Et ce n'est pas ridicule, allez ! Ni banal. Et ça vaut mieux que les porcheries élégantes des foires aux navets officielles... C'est un peu ça, les toiles de Luce : les affiches des spectacles qu'on ne veut pas voir...
Et c'est dessiné, et c'est peint. Car Maximilien Luce n'est pas un de ces ignorants prétentieux qui retranchent leur nullité derrière l'audace imbécile des théories pillées. Il sait. Sa technique, celle des néo-impressionnistes, il l'applique sans rigueur, violant les dogmes et se laissant aller à ses instincts, quand il lui plait, révolutionnaire anarchiste – là comme ailleur.
Sa peinture violente, crue, brutale, sait évoquer l'âme saignante du peuple, la vie des foules angoissées et exaspérées par la souffrance et les rancoeurs, pliées en deux sous la malédiction sociale, le grouillement navré des parias haletant sous les ciels orageux et bas, chargés de colères, pleins de menaces. Mais elle sait évoquer, enfin, les joies du printemps et le calme de la nature, l'éternelle douceur des choses. Et c'est poignant, cette anthithèse (sic) entre la paix profonde de certaines toiles et l'amère brutalité de certaines autres – cette anthithèse (re sic) qui donne toute l'âme de plébéien, âme d'enfant, douce et gaie, qu'une société mauvaise a barbouillée de fiel.
Elle vibre bien, cette âme-là, dans cet homme de grand talent, simple et courageux, consciencieux et convaincu, dans ce révolté aux lèvres railleuses et aux yeux bons qui doit s'imposer et qui s'imposera, soyez en sûrs, dans Maximilien Luce – peintre ordinaire du Pauvre.
Georges DARIEN