L’actualité récente a remis sur la sellette la notion de conflits d’intérêts. Un proche conseiller du Président de la République est soupçonné d’avoir eu une double casquette aux attributions antinomiques. Alors qu’il était en poste à l’Igas (Inspection générale des affaires sanitaires) en 2007, il aurait effectué une mission pour le compte d’un laboratoire pharmaceutique danois, profitant ainsi "du beurre et de l'argent du beurre".
Le conflit d’intérêt classique est un scénario qui met en scène un laboratoire pharmaceutique ou un industriel désirant tricher pour promouvoir son produit, un médecin ou un lobby médical qui acceptent de se faire le complice de cette fraude. Il s'agit d'un contrat "gagnant-gagnant" puisque, pour prix de sa complicité, le ou les médecins reçoivent une récompense sonnante et trébuchante tandis que le commanditaire voit ses ventes progresser ou son produit lavé de tout soupçon si c'était le cas. Afin de comprendre la gravité et le caractère inacceptable de ces « petits arrangements entre amis », il faut savoir tirer les leçons de l’histoire de quelques chapitres de la médecine de ces soixante dernières années.
- Le Distilbène, œstrogène commercialisé en 1947 aux USA comme traitement préventif des fausses couches, a été largement prescrit alors qu’une étude cas-témoins démontrait de façon indiscutable dès 1953 son inefficacité [1]. Il est interdit en 1971 aux USA devant la description de formes exceptionnelles de cancers du vagin chez les filles dont les mères avaient reçu ce médicament durant leur grossesse. Ce n’est qu’en 1977 que le Distilbène sera contre-indiqué en France sans qu’aucun collège de Gynécologues ne se soit auparavant ému de la poursuite de ce traitement inutile et dangereux. Ce n'est qu'en 2006 que la première condamnation du laboratoire UCB-Pharma, distributeur du Distilbène en France, fut prononcée.
- En 1984/1985, des médecins responsables du Centre national de transfusion sanguine ont sciemment distribué à des hémophiles des produits sanguins non chauffés dont certains étaient contaminés par le virus du Sida. C'est surtout grâce à la pugnacité d'une journaliste, Anne-Marie Casteret [2], que cette "affaire du sang contaminé" pourra être mise en lumière malgré les dénégations de la plupart des notables de la médecine, de l’État, de la Justice et même de ses collègues de la presse. Cette pratique de transfusion à haut risque était en fait motivée par des raisons financières (intéressement aux ventes des flacons remboursés par l'assurance maladie). Le retard à la pratique du dépistage systématique du virus du Sida fut aussi un facteur aggravant de la prolongation de l'utilisation des produits suspects. En effet, le test français Pasteur avait pris du retard sur le test américain Abbott et les instances politiques de l'époque ont opté pour « une gestion astucieuse du calendrier » afin de favoriser le test français alors que le concurrent américain était déjà disponible.
- L’amiante a été classée comme cancérigène avéré en 1976. Malgré la multiplication au fil des années de maladies professionnelles pulmonaires graves, les pouvoirs publics, l’Académie de médecine, la plupart des pneumologues et des médecins du travail minimisent ces risques patents. A partir de 1990, le Pr. Henri Pézerat, toxicologue de l'université Jussieu, lance l'alerte et crée une association de victimes (ANDEVA). Un "comité permanent amiante" est mis en place par l'Etat mais, noyauté par l’industriel Eternit, il ne rend que des conclusions lénifiantes. Une expertise indépendante de l'INSERM vient enfin exposer la vérité en 1996, avec un recensement de milliers de cancers survenus ou à prévoir. L’amiante finira par être interdit en France l'année suivante [4].
- Un problème similaire existe avec le dépistage systématique du cancer de la prostate, défendu bec et ongles par la seule association française d'Urologie alors que ses avantages en terme de survie sont très contestés. Même la HAS (Haute autorité de santé) ne reconnait aucune justification scientifique à ce dépistage [7]. Cette aberration est décrite par un médecin généraliste qui a enquêté sur ce système institutionnalisé, mis en place probablement surtout pour faire tourner la machine [8].
- L'aspartam, édulcorant le plus répandu, est suspect de parfois déclencher des accouchements prématurés. Il est fortement défendu par l'industrie des additifs grâce à de grands placards publicitaires dans des hebdo. Un universitaire Dijonnais y cautionne sans équivoque les bienfaits de l'édulcorant dans l'obésité. Il oublie cependant de préciser ses liens étroits avec le premier fabricant d'aspartam, le japonais Ajinomoto. "Une vérité allégée". [9]
- En 1994, le Ministère de la santé décide de promouvoir la vaccination contre l'hépatite B pour tous les nourrissons et les pré-adolescents, population n'ayant pourtant aucun risque de contracter, à cet âge, cette maladie infectieuse transmise par voie sexuelle ou sanguine.
Cette promotion est réalisée grâce au lobby pro-vaccinal bien secondé par le marketing intensif et mensonger de l'industrie. Ceci est d'autant plus aisé que Bernard Mezuré, président du laboratoire SKB (qui commercialise l'un des deux vaccins) est aussi membre de droit du conseil d'administration de l'Agence du médicament en tant qu'étant également président du Syndicat National de l'Industrie Pharmaceutique (SNIP)... Le Dr. Philippe Douste-Blazy, secrétaire d'État à la Santé, lui fait bénéficier d'un contrat sans appel d'offre de 1.500.000 doses de vaccins, destinés à vacciner tous les élèves de classe de 6ème. Il argumente ce choix à la télévision en prétendant que plus de 100.000 nouvelles contaminations surviennent chaque année en France (environ 5 fois plus que les chiffres alors estimés).
Cette campagne intensive va dépasser ses objectifs et aboutir à faire vacciner plus de 25 milions de personnes sur un laps de temps de 4 années. Relativement peu de nourrissons sont vaccinés contre une majorité d'adultes, pas spécialement à risques. La survenue de pathologies neurologiques dans les mois suivant une vaccination donne un coup d'arrêt brutal à cet engouement, ce d'autant que le nouveau Ministre de la santé interrompt brutalement les vaccinations réalisées dans les collèges en septembre 1998. Les victimes (regroupées au sein de l'association REVAHB) attendent toujours une vraie reconnaissance.
- Toujours dans le chapitre des vaccins, une officine française, qui s'est baptisée Infovac, regroupe des médecins se déclarant "experts en vaccinologie". Ceux-ci ont pour mission d'informer le corps médical français sur toute l'actualité en matière de vaccinations et les problèmes éventuels qui s'y rapporteraient. Ce regroupement de spécialistes en vaccinologie a été créé en 2003 en conformité avec le grand frère InfoVac-Suisse, l'association ACTIV et le Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique de la Société Française de Pédiatrie (SFP).
Infovac-Suisse a pour mère le Pr A.C Siegrist, immnologiste responsable de la chaire de vaccinologie de Genève, institut sponsorisé par la fondation Mérieux. Cette fondation a été crée par la famille du fondateur de l'Institut Mérieux qui est devenu, au fil du temps, des rachats et des regroupements, le fabricant de vaccins Sanofi-Pasteur-MSD. ACTIV (Association Clinique et Thérapeutique Infantile du Val de Marne) est l'enfant d'un pédiatre, le Dr R. Cohen. Cette association s'est donnée pour mission de réaliser des travaux sur ce qu'elle nomme "le champ infectieux". On voit sur la page d'accueil de son site qu'une majeure partie de son financement vient de l'industrie (commercialisant antibiotiques et vaccins).
Si l'on parcourt la page d'accueil du site Infovac, on y lit que " les experts d’InfoVac-France sont indépendants des firmes pharmaceutiques. Les comptes d’InfoVac-France sont gérés et contrôlés par l’administration d'ACTIV ". Animé d'une transparence que la loi lui impose, Infovac nous livre, sur une page suivante, les déclarations d'intérets de trois années des dits experts. On s'apperçoit que le chef des experts, le Dr R. Cohen, a reçu "des versements substantiels au profit d'une association dont il est responsable" émanant, entre autres, des deux leaders mondiaux du marché du vaccin (GSK et Sanofi-Pasteur-MSD). Quelle pourrait bien être cette association dont il serait responsable ? On imagine que c'est ACTIV bien sûr. Or l'administration d'ACTIV gère et contrôle les comptes d'Infovac. Le fonctionnement d'Infovac n'est donc pas spécialement libre des subsides que lui versent en sous-main l'industrie du vaccin par le canal ACTIV. Cette dépendance se sent notablement lorsque des questions sont posées aux "experts" sur le terrain des effets indésirables des vaccinations. Les réponses se font invariablement vers la minimisation, la banalisation ou l'affirmation péremptoire. Il serait donc somme toute logique de baptiser cet organisme non pas "Infovac", mais plutôt "Promovac".
- Le Médiator a été commercialisé en 1976 comme anorexigène chez le diabétique obèse. En fait le laboratoire Servier s'est arrangé pour détourner cette indication et le faire prescrire comme coupe-faim chez tous les obèses. Malgré sa dangerosité cardiaque patente, dénoncée par les alertes répétées de la revue Prescrire. le laboratoire écoulera 145 millions de boites jusqu'à son retroit en 2009, après des années de passivité bienveillante des responsables de la pharmacovigilance française [11]. Les centaines de morts dont le Médiator est responsable n’ont pu être reconnus que grâce à la dénonciation sans failles du Dr. Irène Frachon, une Pneumologue tenace [12].
- Même notre HAS connait ses conflits d'interet. Ses recommandations sur le diabète de type II et l'Alzheimer, ont été retoquées en 2011 par le Conseil d'Etat du fait de conflits d'intérêts de ses sages un peu trop proches des laboratoires producteurs de produits à l'efficacité plus que douteuse. C'est le FORMINDEP (Association pour une formation et une information médicales indépendante) qui avait déposé ce recours devant la juridiction administrative [13]
Les décrets d'application (n°2013-414 du 21 mai 2013) de la loi "transparence de la loi Bertrand (29 décembre 2011), censés supprimer ce problème, édulcorent en fait la transparence des avantages consentis par les firmes aux professionnels et l’indépendance de l’expertise sanitaire [14]. Ils pérennisent malheureusement le risque de scandales sanitaires. L’argent n'aura toujours pas d'odeur dans notre système de santé et les conflits d’intérêts resterons monnaie courante tant qu'une volonté politique authentique restera aux abonnés absents.
D.Le Houézec
[1] Dieckmann W.J. et al. « Does administration of diethylstilbestrol during pregnancy have therapeutic value? » Am. J. Obst. Gynecol. 1953, 66, 1002-8.[2] A.M. Casteret. L'affaire du sang, Paris, Éditions La Découverte, 1992 [3] P. Robert-Diard. Hormone de croissance : le procès d'un scandale sanitaire. Le Monde, 09.03.2012[4] Amiante, mode d'emploi
[5] D. Leloup et S. Foucart. Comment le lobby du tabac a subventionné des labos français. Le Monde, 31.05.2012[6] Christelle Sallès Les « notables de la ménopause » face aux risques du traitement hormonal substitutif. Septembre 2004 [7] HAS. Dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA : intérêt non démontré chez les hommes présentant des facteurs de risque. 04.04.2012[8] Christophe DESPORTES. Prostate le grand sacrifice…
[9] Pryska Ducoeurjoly. Aspartame : à qui profite la bataille de la communication ?
[10] Eric Giacometti. La santé publique en otage, le scandale du vaccin contre l'hépatite B. Albin Michel, 2001
[11] Alexandre Pouchard. Affaire du Mediator : le point si vous avez raté un épisode. 12.12.2012
[12] Irène Frachon. Médiator 150 mg, combien de morts? Ed. Dialogues, 2013[13] le Formindep saisit le Conseil d’Etat