LA MARTINE (d'après Maupassant)
Quand, hier à midi, Benoist rentrait chez lui,
Il a rencontré la Martine sur son chemin.
Il s’est dit :
‘’ C’est une belle fille, mâtin ! ’’
Il ne s’en était pas aperçu jusque-là.
Ça lui était venu comme ça,
Tout d’un coup
Et si fort qu’il en avait perdu l’appétit.
Rien ne passait ni la soupe ni le ragoût.
Le soir, il pensait à Martine dans son lit
Et encore en se réveillant
Idem les jours suivants.
Il n’aurait pu dire ce qu’il avait.
C’était quelque chose qui le tenaillait.
Il tressaillait quand on la nommait devant lui.
Il avait des sueurs chaque nuit
Qui l’empêchaient de dormir.
Certains matins,
Lorsqu’il la croisait sur le chemin,
Il suffoquait de saisissement.
Un jour, pourtant, il l’aborda en bredouillant :
-« Ça ne peut plus durer. »
-« Qu’est-ce qui ne peut plus durer ? »
-« Je pense à vous tout le temps.
Faut faire quoi pour guérir ça ? »
Elle l’embrassa
Et s’enfuit en courant.
On commençait à jaser dans le pays.
Certains les disaient promis.
D’ailleurs Benoist avait demandé sa main.
Elle avait même répondu « Oui, j’veux ben ! »
Mais bientôt, la Martine ne vint plus
Aux rendez-vous,
Benoist la cherchait partout.
Il ne l’apercevait plus,
Ni dans les champs,
Ni sur les chemins, ni à la messe.
Or, justement,
Un dimanche, après le sermon,
Le curé annonça
Qu’il y avait promesse
De mariage entre Martine Martin.
Et Albin Brémond.
Fort chagriné, Benoist se mit à boire.
Puis un matin
Il se décida à aller la voir.
Martine était étendue par terre.
Saisie par les douleurs de l’enfantement,
Elle se tordait affreusement.
Alors Benoist fit,
Comme il avait coutume de faire
Aux vaches et aux brebis.
Il l’aida et reçut dans ses mains
Le petit de Martine Martin
-« Merci Benoist,
T’es un brave gars.
Montre-le-moi, s’il te plait. »
Il lui présenta le bébé
Comme s’il eût tenu du pain bénit.
À cet instant, la porte s’ouvrit.
Albin entrait, l’air surpris.
Alors Benoist lui révéla :
-« J’ passais par là…
J’ai entendu des cris…
J’ suis v’nu…v’là ton éfant ! »
Albin prit le bébé, l’embrassa,
Le reposa
Et s’écria en présentant
Ses deux mains à Benoist :
-« Tope-les, Benoist,
Maintenant, entre nous, tout est dit.
Si tu veux, j’ serons une paire d’amis ! »
-« J’ veux ben.
Pour sûr, j’veux ben. »