L’un des rituels de mes vacances est de relire mes albums de Tintin.
En pleine actualité - libération des otages détenus en Syrie - j’ai procédé à la lecture parallèle de « Au pays de l’or noir » : une version actuelle correspondant à l’édition de 1971, comparée case à case à la version de 1950.
Qui n’était pourtant pas la première version de Georges Rémy. Car l’histoire de cette BD commence à être écrite juste avant la seconde guerre mondiale, en noir et blanc, et paraît de septembre 1939 à mai 1940, dans l’hebdomadaire "le Petit Vingtième".
Arrêté en raison des hostilités, le cours de cette quinzième aventure de Tintin sera repris entre 1948 et 1950, puis « revisité » en 1971 pour le rendre à la fois plus proche de la réalité historique du moment et politiquement acceptable.
Aujourd’hui, l'ambiance de cet épisode est encore d’une criante actualité. Bruits de bottes, menaces de guerre, processus de mobilisation générale – nous pensons à l’Ukraine. On s’étonne ici de voir l’essence faire explosion dans les moteurs, la crise d’approvisionnement d’une source d’énergie vitale est manifeste, la consommation d'hydrocarbures s’effondre, les compagnies aériennes interrompent le trafic … C’est bien d’une crise mondiale qu’il s’agit.
Pour son enquête, Tintin s’embarque « sous couverture » vers Haïffa. Et c’est ici que les deux versions divergent. Dans celle de 1950, le navire accoste en Palestine sous mandat britannique, soumise aux attentats de l’Irgoun, l’organisation juive armée qui cherche à faire partir les Anglais par tous les moyens. Dans la version de 1971, Tintin arrive dans un port situé sur la mer Rouge, vraisemblablement en Arabie Saoudite, il est pris en otage par l'un des deux émirs locaux qui se disputent la rente pétrolière. Le personnage « clé » est le Professeur Müller – bien connu depuis l’Ile Noire - pseudo archéologue à la solde d’une puissance étrangère pour s’emparer des puits de l’émir Ben Khalish Ezab. C’est déjà un scénario connu … Saddam Hussein aurait-il lu Tintin avant d’attaquer le Koweit ?
Autre personnage fondamental : l’abominable petit prince Abdallah, gâté-pourri par son père l’émir, caricature de l’enfant insupportable. Une vengeance de Hergé qui vit pourtant de la clientèle des enfants ? … à psychanalyser.
La nouvelle version de 1971 concerne les planches de la page 14 à la page 21. La fin ensuite est identique avec les mêmes gags devenus d’anthologie : les pilules qui font pousser les cheveux, les errements dans le désert, les mirages, les travestissements des Dupont-Dupond, l’apparition très artificielle du Capitaine Haddock qui n’explique pas vraiment pourquoi il intervient si tard.
Il faut relire cet épisode en pensant au moment où il a été conçu puis remanié : les problématiques internationales n’ont pas bougé : si le conflit israëlo-palestinien n’est pas évoqué dans la version de 1950, on songe à la guerre civile en Syrie ou du Liban, aux sabotages d’installations pétrolières, à la corruption et aux coups de bourse, aux enlèvements devenus une industrie locale, aux chantages … Rien que de très actuel, hélas.
Dernière remarque : j’aimerais bien savoir la signification de l’inscription en arabe figurant sur la couverture, différente dans l’une et l’autre édition … Je subodore que la version de 1971 est plus correcte que la première.
Tintin au pays de l’or noir, par Hergé, chez Casterman : fac-simile de l’édition de 1950 et édition de 1977 conforme à celle de 1971 (collection personnelle)