Première vague, il y a quelques mois: les grandes surfaces de bricolage. Confronté à des distorsions entre enseignes engendré par de un ces fatras réglementaires dont la France a le secret, le gouvernement lâche du lest et "simplifie" le bazar: le 8 Mars de cette année, un décret au Journal Officiel autorise l'ouverture des magasins de bricolage le dimanche. Deuxième vague, ce week-end: Laurent Fabius, ajoutant désormais le Tourisme aux Affaires Etrangères, fait part de sa position en faveur de la généralisation de l'ouverture dominicale, au motif de développer le tourisme en France. Remarque qui se veut définitive: "ll y a une certitude, c'est que le touriste qui vient le dimanche et qui trouve un magasin fermé ne va pas revenir le jeudi".
Reprenons.Pour ce qui est des grandes surfaces de bricolage, on a à bon droit invoqué l'équité (pourquoi certaines enseignes ou régions, et pas d'autres?) pour justifier le décret de Mars dernier. Mais pas seulement. On a entendu également deux arguments soi-disant massues:
- Ca va créer des emplois
- Ca correspond à une demande des consommateurs
Le premier argument, celui des emplois, devrait être a priori plus recevable: un jour d'ouverture en plus, c'est des besoins en main-d'oeuvre supplémentaires donc hop, des jobs. On a même entendu un chiffrage précis: "au moins 22 000 emplois à temps plein". Sauf que.Sauf que la création nette d'emplois par l'addition généralisée d'un jour d'ouverture par semaine suppose, en toute logique, une progression, nette également, du chiffre d'affaires de l'ensemble des commerces de détail. Accroissement lui-même soutenu par une croissance des dépenses des ménages hors loyer et équipements durables donc, de fait, une progression du pouvoir d'achat desdits ménages. Or il sera difficile de faire croire à quiconque que les fameuses nouvelles créations d'emploi dans le commerce de détail vont, à elles seules, générer ce surcroît de pouvoir d'achat. Ne serait-ce que si on considère les salaires octroyés dans la distribution.
Derrière cette offensive au nom de la création d'emplois et de la satisfaction d'une demande, l'une et l'autre franchement hypothétiques, il y a une réalité triviale: la grande distribution est confrontée, on l'a vu, à une baisse sensible de son chiffre d'affaires. Or, lorsqu'on s'appelle Carrefour ou Auchan et qu'on entend enregistrer de la croissance (et, comme tout un chacun, engraisser ses actionnaires chaque année un peu plus), il n'y a que deux solutions: soit augmenter le nombre des points de vente, soit augmenter le chiffre d'affaires par point de vente. La première solution est quasiment exclue, compte tenu de la saturation du territoire en termes de grandes surfaces alimentaires. Reste la seconde qui demande, à nombre de jours d'ouverture constant, énormément d'imagination, d'investissements et, souvent, de temps (ré-agencement des magasins, diversification ou équilibrage de l'assortiment et, bien sûr, baisse des prix pour gagner sur les volumes) pour, au final, des gains relativement marginaux. Ouvrir un jour de plus, par contre, là c'est bingo, direct. Bingo, oui, mais pour Auchan, Leclerc, Carrefour, etc... pris individuellement. Car l'évolution du pouvoir d'achat étant ce qu'elle est, l'ouverture le dimanche opérera un déplacement dans le temps et l'espace du chiffre d'affaires de l'ensemble des acteurs, pas son accroissement net.
Autrement dit: chaque enseigne espère, dans son coin, faire mieux que les petits copains sur le nouveau "segment" du dimanche, qui par sa politique de prix et d'assortiment, qui par ses implantations dans des zones de chalandise plus profitables. Et donc accroître sa part d'un gâteau qui, au mieux, gardera la même taille. Au passage, ce jour d'ouverture supplémentaire accroîtra le rendement des actifs des distributeurs (immobilier, terrains), ce qui leur permettra d'afficher de meilleurs ratios de gestion. Et donc de ravir leurs banquiers.
Et le collectif, dans tout ça? Pas grand-chose sinon, bien sûr, un jour supplémentaire par semaine durant lequel circuleront camions et camionnettes de livraison, un jour supplémentaire durant lequel seront amenés à travailler les fournisseurs des distributeurs (sur la base du "volontariat", n'en doutons pas) - le tout, là encore, dans la perspective de conquête de parts de marché, un jeu à somme nulle. Enfin, un jour supplémentaire pour consommer ou travailler, plutôt que de s'amuser, réfléchir ou échanger entre humains.
Par ailleurs: lorsque le gouvernement français a baissé les armes devant les vociférations des "bonnets rouges" (voir ici-même "Bonedoù Ruz ha Koc'h Ki Du"), on a voulu nous faire croire qu'il s'agissait du terme d'un affrontement entre des technocrates "parisiens" et des petits transporteurs, des paysans ou des artisans, bref une "Bretagne qui se lève tôt". Mon cul, oui. Pourquoi tant d'acharnement à défendre le transport routier? Tout simplement parce que ce type de transport est la conséquence directe du "business model" de la distribution à la française, à savoir la concurrence de tous contre tous pour maximiser les revenus des centrales d'achat. Et qui amène, par exemple, à exiger d'un éleveur de volailles du Finistère qu'il aille livrer ses oeufs dans la région de Lille. Alors forcément, il est contre la limitation du transport routier, l'éleveur en question, bien obligé, donc il brûle du portique, forcément. Mais collectivement remettre en question les injonctions de "m'sieu not' bon maître", Michel-Edouard Leclerc ou un autre, ça va pas, la tête?
Enterrement de l'"écotaxe", ouverture des magasins le dimanche: les épiciers en rêvaient, la droite aurait à peine osé, la gauche l'a fait. Elle est pas belle, la vie?
A bientôt