Challenge amoureux: Proust (2)

 
blog: L'Irrégulière Catégorie: Hymne à l'amour
 Albertine disparue de Proust.

 
« Albertine est partie » est la phrase qui résonne et qui va accentuer la souffrance et l’esprit torturé du Narrateur.
Comme l'écrira si bien Aragon des années plus tard: "Il n'y a pas d'amour heureux"... Alors à quoi bon vouloir être heureux en amour.
 Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux On retrouve l’éternelle ambivalence proustienne : lorsqu’Albertine était présente, il s’en ennuyait, une fois partie, il la regrette et souffre.
Ce départ engendre la douleur. Ce qu’il lui reste d’elle, c’est une lettre de rupture qu’elle lui a laissée.
  Les thèmes traités:

• L'intelligence intuitive qui consiste à lire les signaux, les interpréter pour envisager l’avenir. "Ma séparation d'avec Albertine, le jour où Françoise m'avait dit: "Mademoiselle Albertine est partie", était comme une allégorie bien affaiblie de tant d'autres séparations."
• Conception de la souffrance : ce roman devient au fil des pages et tour à tour  un traité sur le chagrin d’amour et un dictionnaire amoureux. On voit se profiler tout un ensemble de définitions. Le Narrateur tente de mettre des mots sur le mal qui le ronge. Et même si verbaliser la souffrance n'est pas la soigner elle permet de cibler pour mieux la guérir.
• Influence Schopenhauerienne sur l’écriture de Proust : le bonheur n’existe pas il n’y a qu’absence de souffrance.

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant après moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureux Le roman de l'absence et du manque

• Il s'agit d'un roman de l’absence et du manque, de l’attente espérée et désespérante de cet autre qui nous manque.
• C'est par excellence le roman de l'attente :  cet instant de tension entre ce qui n’est pas et qui pourrait être. Cette attente n'est autre que la formation ad vitam aeternam d'espoirs souvent déçus, d'illusoires illusions qui ne sont au finales que de fatales déceptions. Mais, et c'est bien là le problème de l'espérant, toute déception génère malgré tout l'espoir -cette tragique illusion. L’attente sempiternelle de l’autre crée l’espoir et empêche de sombrer. Le fait qu'Albertine soit encore vivante n’annihile aucun de possibles. Même si le retour d’Albertine est peu probable mais demeure encore possible, tout espoir est permis.Rien n’est définitif à part la mort.

« Même si les chances sont faibles, elles ne sont pas nulles… » (Le temps qui reste; F. Ozon)
 Mouvement crescendo : Albertine est partie -->  Albertine est morte.
La répétition lancinante de « Albertine est morte » laisse planer le doute entre la réalité et la métaphore jusqu’à ce que la vérité tombe comme un couperet : Albertine est décédée. Plus de doutes possibles. Le désespoir sera donc de mise. L’espoir est vaincu. Il n’y aura donc plus d’attente, plus d’espoir auquel se raccrocher. Il faudra vivre jusqu’au bout sans elle. Définitivement. Irrévocablement.
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitareIl n'y a pas d'amour heureux Le narrateur, à défaut de retrouver Albertine à l’avenir, va replonger dans son passé, ses souvenirs, retrouver les lieux et les personnes de leur passé commun dans une sorte de chemin de croix. Revivre les souvenirs avec l’Albertine Disparue pour mieux en faire le deuil et découvrir sa part mystérieuse, sa face cachée pour la posséder totalement.
Je crois que Proust signe le plus beau roman d’amour perdu.

"Et maintenant elle n'était plus nulle part, j'aurais pu parcourir la terre d'un pôle à l'autre sans rencontrer Albertine; la réalité, qui s'était refermée sur elle, était redevenue unie, avait effacé jusqu'à la trace de l'être qui avait coulé à fond. Elle n'était plus qu'un nom."

Albertine Disparue est un hymne au Grand Amour, celui de toute une vie. L'Irremplaçable, l'indéfectible.

"Mais Andrée n'était pour moi qu'un prête-nom, qu'un chemin de raccord, qu'une prise de courant qui me reliait indirectement à Albertine. C'est ainsi qu'en rêve on donne un autre visage, un autre nom, à une personne sur l'identitié profonde de laquelle on ne se trompe pas pourtant."
 Un sublime roman de l’absence.
Cette Venise où j'avais cru que sa présence me serait importune, maintenant qu'Albertine n'était plus, j'aimais mieux ne pas y aller. Albertine m'avait semblé un obstacle interposé entre moi et toutes choses, parce qu'elle était pour moi leur contenant et que c'est d'elle, comme d'un vase, que je pouvais les recevoir. maintenant que ce vase était détruit, je ne me sentais plus le courage de les saisir, il n'y en avait plus une seule dont je me détournasse, abattu, préférant ne pas y goûter."
 Pour une fois, on a une réelle compassion pour ce Narrateur dont les souffrances d’antan pouvaient nous sembler superficielles. J’ai longtemps voulu lui botter les fesses et l’enjoindre d’arrêter de se plaindre. Dans ce tome, on a véritablement envie de le consoler, et lui dire : « pleure, hurle, crie ! »  Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
   Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleursIl n'y a pas d'amour heureux C’est un roman sublime auquel j’ai vraiment été sensible de la première à la dernière page. J’ai fermé le livre à regrets et avec un seul regret : ne pas l’avoir lu avant, à un moment où j’en aurais eu profondément et viscéralement besoin. Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous deux. Louis Aragon, La Diane Française.