Les années 70 furent celles des fanzines [1] , ces feuilles de choux ronéotypées élaborées dans l’urgence et à la maquette incertaine. Fers de lance de la révolution politique ou poétique, consacrés à la science-fiction ou aux nouvelles policières, il s’en est créé des centaines. A ses débuts, Germes de barbarie fut l’un d’eux, même si en 1979 ce mouvement s’épuisait déjà au profit de vraies revues certes mieux fabriquées (Jungle, Le Grand Huit, Ubacs, M25) mais plus convenues. J’ai entre les mains un lot de ces objets éditoriaux mal identifiés. J'en retire deux plaquettes datant de 1978. Des productions de l’EDEN, l’école de nulpart dont le slogan « icila toupartout » est à lui seul tout un programme post soixante-huitard !
Le duo qui animait ce joyeux mouvement, Jean-Benoît Thirion et Pierre Ziegelmeyer, a publié quelques années plus tard chez Point Virgule « Le A nouveau est arrivé ». Je me souviens que cette même année 1978, nous avions échangé quelques correspondances autour d’un projet sur lequel je travaillais alors et intitulé : Le Petit illettré illustré. Un dictionnaire insolent qui aurait proposé des définitions farfelues des mots du quotidien. Six mois plus tard, l’idée d’une rédaction collégiale semblant toujours au point mort, je considérai le chantier comme abandonné. Lors de la publication du « A nouveau est arrivé » je l’ai joué fairplay en félicitant les deux auteurs dans une critique parue dans le n°5 de Germes de Barbarie : « Dans l’esprit d’un petit illettré illustré qui reste encore à écrire, Pierre Ziegelmeyer et son complice de toujours, Jean-Benoït Thirion, nous proposent une première lettre de l’alphabet décantée, un grand cru de mots cuits et recuits ».
Aujourd’hui, c’est sans amertume que je m’interroge sur le fonctionnement de certains écrivains. Adeptes du plagiat pur et simple (comme Patrice Delbourg qui a obtenu le Prix Apollinaire avec un recueil qui n’était pas totalement de lui) ou opportunistes peu scrupuleux : l’idée était dans l’air. En ce qui concerne les duettistes du « A nouveau est arrivé », je pencherai pour cette seconde hypothèse. Juste un manque d’élégance. Mais jusqu’à quel point est-on propriétaire d’une idée, d’un concept ? Faudrait-il faire comme Arthur [2], clown ridicule et ennuyeux, qui dépose tout ce qui lui vient à l’esprit même et surtout si l’idée n’est pas de lui ? Non, évidemment. Je crois encore au vertige de la création et au partage des richesses. Que Pierre Ziegelmeyer et Jean-Benoît Thirion se rassurent, je n’en veux pas à leur porte-monnaie et, il n'y a aucun doute, ils sont bien les auteurs de leur livre ! Je réfléchissais juste sur les influences liées à la création d’une œuvre littéraire. Dans un dossier consacré au plagiat publié en novembre 1997 dans l'Evènement du Jeudi, le susnommé Patrice Delbourg se livrait à un «bref éloge de l'écrivain en éponge» et écrivait, sans doute en toute connaissance de cause: «Face à l'urgence, la paresse, la fatigue, la rentabilité à tout crin, le corps plie, les neurones se mettent, eux, aux abonnés absents et, forcément, on se dope, on rapine la substantifique moelle du collègue. La tentation est trop forte.» Vaste débat...
[1] Un fanzine est un « journal libre », souvent sans existence officielle (une large majorité des fanzines n'ont pas de dépôt légal), publié sous l'égide duDo it yourself(« faites-le vous-même »), souvent spécialisé, qui n'est soumis à aucun impératif de vente et que l'on se procure dans quelques librairies, ou sur abonnement.
[2] Animateur télé sur le déclin.