Notes sur la poésie : Pierre Guyotat

Par Florence Trocmé

[…] le désir poétique est quelque chose qui prend très tôt et très fort, qui forme très tôt la nature, qui impose sa loi à votre vie.
Comme la poésie est l’art de mettre en rapport les choses les plus contraires, d’imprimer une vitesse au monde, de le ralentir ou de l’accélérer, son mouvement est tout différent, non pas du mouvement de la science, mais de son enseignement. Ce n’est pas que la science m’ennuie, bien loin de là, mais je n’aurais pas eu la patience d’en apprendre les fondements, et c’est un des grands tourments de mon existence. La poésie, c’est l’impatience ; après, le travail est patience ; mais, dans la phase vraiment inspiratrice, si je puis dire, la vision est tellement rapide… À ce moment-là, toute décomposition de l’image ou du geste apparaît comme une sorte de trouble-fête. […] Aujourd’hui on fait de la poésie au lycée, ouvertement ; autrefois – même si, mes premières poésies, je les montrais au supérieur du collège qui me faisait appeler de l’étude vers son bureau pour les lire – la poésie, on la faisait en cachette, on peignait en cachette, on faisait de la musique en cachette… C’était une activité qui se gagnait, pour laquelle il fallait trouver des ruses, pour laquelle j’ai vraiment toute ma vie de collège trouvé des ruses. Il fallait du reste pratiquement tout cacher et, dans l’ensemble, c’est un très mauvais souvenir ; ça laisse une vision désordonnée, délétère presque de cet âge de toute façon terrible qu’est l’adolescence, où ce désir de poésie est tellement attaqué par les autorités du moment, alors que dans l’enfance, vous le ressentez comme un don du ciel.
[…]
Il est absolument impossible d’obtenir d’un enfant qui entre dans ce désir de poésie, d’art, qu’il se soumette déjà. C’est une activité qui apprend l’insoumission, vraiment.

Pierre Guyotat, Explications, entretiens avec Marianne Alphant, Léo Scheer, 2000, p. 111-112.

Contribution Tristan Hordé