Entré en grande pompe à l’Elysée, le conseiller spécial du président, proche du premier ministre, est parti par une porte dérobée. Il faut un petit instant, comme un écho étouffé, pour mesurer combien cette expression usuelle, presque de l’ordre du cliché, est équivoque. Le site Médiapart qui a levé l’affaire de possibles conflits d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques fait décidemment cavalier seul dans les éventuelles révélations des dessous improbables des plus hautes sphères de la République. Celui à qui, dit-on, serait dû le discours du Bourget annonçant la candidature de François Hollande en janvier 2012 et qui fut l’artisan du remaniement marqué par le départ de Jean-Marc Ayrault de Matignon a été acculé à la démission. Tout au long des journées pascales, les médias ont balancé entre le départ précipité d’Aquilino Morelle et le retour des journalistes retenus captifs en Syrie. Cet événement heureux ne réussit cependant pas à éclipser totalement la piteuse déroute de celui qui passait pour la plume avisée et alerte du président.
Plume de président est une activité qui fait rêver. Autant l’écrivain public est convoqué pour mettre au net et au propre les soucis quotidiens de ceux qui sont malmenés par certaines institutions, autant la condition de plume d’Etat génère du prestige. Fréquenter les grands de la vie publique, capter l’émergence du souffle de pensées en gestation pour leur apporter l’incarnation destinée à les transmuer en messages pertinents et efficaces procurent à n’en pas douter de doux et délicieux frissons. Le métier n’est cependant pas sans risques. La maîtrise des équilibres est nécessaire. Trop de complaisance et de soumission aux consignes peut faire de la plume un commis au cirage de pompes ; trop d’indépendance dans le trait de plume, et la disgrâce est assurée. Car être plume, c’est en même temps savoir valoriser la légèreté et densifier l’ordinaire pour qu’il tourne au sublime. Si tous les coups sont à peu près permis, certains sont repérés dès leur première fois. Mieux vaut ne pas trop repiquer à l’anaphore même si la tentation est chatouilleuse. La plume formule. La plume doit faire choc comme le tampon fait foi.
La plume sera remplacée. La vacance du poste va attirer les candidatures spontanées. Le recruteur sera, cette fois, attentif aux petites manies de l’impétrant. Le poste de plume pourrait connaître quelques évolutions. Il serait demandé à la nouvelle plume d’être moins visible, de correspondre aux exigences d’une « République exemplaire » en étant moins portée sur les signes ostentatoires du pouvoir, par exemple en arborant les fringues de luxe et les godasses de marque seulement dans les actes de la vie privée. La plume devrait être discrète.
Ce qu’il faut à l’Elysée, ce n’est ni un sergent-major ni un plumitif d’exception. L’Elysée a désormais besoin d’une plume magique et d’un masque discret. Quant à la plume perdue, elle va se reconvertir. Sans difficulté, elle saura trouver, n’en doutons pas, chaussure à son pied.