Vous trouverez ci-dessous le compte-rendu de mes échanges avec Atlantico. Bonne lecture !
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Q D’un point de vue pratique, quelles sont les attentes parfois surprenantes de la génération Y et comment y répondre ?
L’attente qui surprend le plus concerne la recherche d’un meilleur équilibre vie privée/ vie professionnelle. Même si cette attente n’est pas nouvelle en soi, les membres de la génération Y l’expriment avec plus d’intensité. Dès l’entretien d’embauche, ils ont tendance à poser des questions sur des thématiques qui n’étaient pas abordées auparavant, comme les horaires de travail, l’existence ou non de RTT, la durée des congés, etc. On remarque également que de plus en plus de collaborateurs (y compris hommes) demandent des horaires aménagés sous la forme de télétravail, de 4/5ème, etc. Et ce pour des raisons très diverses : s’occuper de la famille, mener un projet d’études, un projet associatif, etc.
Les membres de la génération Y ambitionnent de réussir également dans la sphère personnelle. L’idée est en gros “j’aime mon travail mais j’ai une vie en dehors et j’attends de mon employeur qu’il l’accepte.”
Lorsque l’entreprise fait l’effort de s’intéresser à la vie du collaborateur, elle y gagne car le collaborateur aura tendance à être plus impliqué dans son travail.
A propos, les employeurs sont-ils assez ouverts d’esprit pour faire face aux comportements de cette nouvelle génération ?
Beaucoup de recruteurs sont mal à l’aise avec ces questions sur l’équilibre vie privée / vie professionnelle. Classiquement, on leur a expliqué que ce genre de questions à l’entretien d’embauche était le signe que le candidat qui les posait n’avait pas de valeur.
Or, aujourd’hui, ces questions émanent aussi bien de candidats peu motivés que de très bons profils. Il est désormais impossible de conclure comme on le faisait auparavant à un manque de motivation lorsqu’un candidat pose ces questions.
Sur le fond, il existe un autre frein de nature “culturelle”. Beaucoup d’entreprises ont été habituées à évaluer l’implication de leurs collaborateurs au vu de la présence horaire. Il y a cet espèce de raccourci idiot où l’on considère que si quelqu’un est là très tôt ou très longtemps, il est très motivé. C’est un postulat est bien évidemment en train de changer. Avec l’augmentation des métiers de “prestations intellectuelles”, on se rend bien compte que l’enjeu n’est pas le temps de présence mais l’implication du collaborateur lorsqu’il est présent. Par ailleurs, les débats publics sur les risques psychosociaux ont fait avancer l’idée que les collaborateurs n’avaient pas vocation à vivre et dormir au travail.
Que mettre en place pour intéresser ces jeunes biberonnés au chômage, au contrat court, et à la flexibilité ?
D’abord, il faut souligner que le coté contrat court n’est un problème que parce que la société française n’a pas intégré ce phénomène. Spontanément, si vous demandez à un jeune s’il préfère un contrat stable sur 30 ans ou un projet intéressant sur 6 mois, il n’y a pas photo ! Il va préférer un contrat court. Là où ça devient problématique, c’est par exemple lorsque que les banques vont continuer à conditionner l’octroi d’un crédit à l’obtention d’un CDI par le collaborateur. Du coup, certains jeunes peuvent se montrer très exigeants sur la nature de leur contrat alors qu’eux-mêmes n’y accordent pas beaucoup d’importance.
Sur le fond, le fait de proposer une diversité de tâches a un impact fort sur la motivation. Beaucoup d’organisations et d’entreprises ont été habituées à donner un travail, une tâche, une mission. Et aujourd’hui on voit des jeunes qui sont dans logique de multitâches. De la même façon qu’ils ont toujours 15 « fenêtres » ouvertes sur leur ordinateur, ils ne voient pas très bien pourquoi ils n’auraient qu’une seule mission en cours : quand c’est le cas, cela a le don de les ennuyer ! Les managers qui arrivent à motiver leurs troupes, notamment les jeunes, sont ceux qui parviennent le mieux à diversifier les missions et éviter la monotonie.
La génération Y est peuplée de “digital natives”, des jeunes nés avec les nouvelles technologies de l’information et la communication. Ça joue également dans l’entreprise ?
On a effectivement une génération qui dispose d’outils performants à la maison. Elle vit donc relativement mal le fait d’arriver dans un environnement de travail dégradé technologiquement. Lorsque les systèmes sont lents à réagir ou qu’il est impossible de lire ses mails, c’est à la fois une source d’agacement et de stress. C’est vrai pour toutes les générations, mais la génération Y est bien plus habituée à ce que les choses aillent vite. L’employeur qui ne propose pas un environnement technologique de qualité prend le risque de démotiver ses jeunes recrues.
Quels avantages d’avoir des jeunes en entreprise et comment intégrer leurs talents ?
J’ai coutume de dire que ce sont des “empêcheurs de penser en rond”. Les entreprises ont tendance à fonctionner de manière répétitive sans s’interroger sur leur méthodes et leurs routines.
Le gros avantage d’avoir des jeunes dans une équipe c’est qu’ils ignorent les habitudes de l’entreprise et qu’ils ont tendance à les interroger. Ils questionnent régulièrement leurs collègues sur le “pourquoi” du travail qui leur est donné, la raison d’une interdiction, suggèrent des alternatives, etc.
Même s’il peut irriter certains managers expérimentés, ce questionnement peut être source de progrès, suivant le principe célèbre de Churchill : “Tout le monde savait que c’était impossible à faire. Puis un jour quelqu’un est arrivé qui ne le savait pas, et il l’a fait.”
La génération Y peut apporter son goût pour la rapidité. Perçu comme un challenge par les managers et les entreprises, ce goût pour l’instantanéité est pourtant en adéquation avec l’évolution du monde des affaires, lui-même toujours plus rapide.
De même, les jeunes ont souvent des profils plus “internationaux”. Ceci s’explique par une multitude de facteurs : développement des programmes Erasmus, progrès dans l’enseignement des langues, transports low-cost, etc. Là encore, cette nouvelle génération de collaborateur colle parfaitement au monde des affaires actuel qui s’internationalise rapidement.
Enfin, c’est aussi un atout sur le plan commercial. Le renouvellement générationnel concerne les collaborateurs mais aussi les clients. Pour comprendre leurs attentes et leur proposer des offres adaptées, les entreprises pourront naturellement s’appuyer sur leurs ressources issues de la génération Y.
Les relations entre jeunes et seniors sur les lieux de travail, vous y voyez une source de conflits générationnels ou bien une opportunité ?
Il peut y avoir des petits frottements effectivement lorsqu’on a une entreprise très “monoculturelle” (très senior ou au contraire majoritairement composée de jeunes). Il y a parfois des chocs de culture lorsque vous avez un senior au milieu de 15 jeunes, ou l’inverse. Le meilleur outil contre ces conflits, c’est de faire des équipes intergénérationnelles. Les meilleures équipes sont souvent celles qui mélangent des collaborateurs seniors, jeunes, et d’âge intermédiaire car elle capitalisent sur cette diversité.
Le problème naît du fait de ne pas assez confronter les gens à la diversité des générations. De nombreux professionnels s’inquiètent de ne pas avoir les mêmes méthodes de travail ou les mêmes visions sur tel ou tel sujet. Personnellement, je m’en réjouis. Si les générations pensaient toutes de la même façon, elles n’auraient pas grand chose à s’apporter.
Pour l’avenir, une chose est sûre : les managers qui parviennent à faire vivre et travailler ensemble des générations différentes auront un avantage concurrentiel de taille.