C’est un trou de verdure au beau milieu de Boulogne (Billancourt- pas sur mer) : un bâtiment néo-empire, un jardin fort agréable, le soleil brille et tout est calme. Gabrielle me reçoit « chez elle », à la bibliothèque Marmottan.
Bonjour Gabrielle, peux-tu te présenter aux lecteurs d’Artetvia ? Quel est ton « titre » officiel ?
J’occupe actuellement le poste de conservateur de la bibliothèque Paul-Marmottan, située à Boulogne-Billancourt, ça c’est le titre officiel ; la réalité est beaucoup plus diverse. Paul Marmottan (1856-1932) est un (très) riche rentier doublé d’un fin amateur d’art. Fils de Jules Marmottan, lui-même collectionneur, il est féru de l’art du début du XIXe siècle. Sa passion pour l’Empire et la geste napoléonienne est d’ailleurs venue des arts et non l’inverse, ce qui est une démarche assez originale et donne le ton à la variété de sa collection : toute sa vie, il a rassemblé des ouvrages, des estampes, des peintures, des sculptures et du mobilier datant de cette époque ou sur cette époque. Ici, nous sommes dans sa « maison de vacances », son refuge d’érudit et de chercheur ; sa résidence principale était l’actuel Musée Marmottan-Monet, situé dans le XVIe arrondissement, qui accueille aujourd’hui une collection fameuse de peintures impressionnistes (Monet, Morisot, Pissaro, Caillebotte…). Ce visionnaire de l’Europe napoléonienne a légué une superbe collection entièrement dédiée à l’Empire !Alors, où est-on, dans une bibliothèque, un musée, un monument historique ?
Les trois ! C’est un lieu assez unique : tout à la fois bibliothèque spécialisée dans l’Empire, musée (peinture, estampes, sculpture, mobilier) et riche demeure d’un grand bourgeois. Les murs appartiennent à l’académie des Beaux-Arts, la gestion est assurée par la ville de Boulogne-Billancourt.
Ce lieu est d’abord une bibliothèque, d’où son nom officiel : ici travaillent des thésards, des fans de Bonaparte, des chercheurs et des érudits, des étudiants ou de simples Boulonnais souhaitant lire un roman sur Napoléon dans un joli cadre et au calme. Nous possédons plus de 30 000 livres sur le sujet et la collection s’enrichit chaque année, que cela soit des ouvrages en français ou en langues étrangères. La notoriété de la bibliothèque dépasse les frontières.
Ce lieu est aussi un musée, dont les parties anciennes sont ouvertes malheureusement uniquement dans le cadre de visites guidées. Le public scolaire est important (Boulogne, Meudon, ouest-parisien…), avec une personne chargée de ce public qui organise des ateliers pédagogiques, toujours sur le thème de l’Empire. Quant aux visites guidées pour les adultes, elles abordent à la fois l’histoire du lieu (une demeure luxueuse du début du XXe siècle et un jardin) et les collections (une centaine de peintures, de « petits maîtres » de l’Empire : Bertin, Turpin de Crissé, Constance Mayer… – pas forcément des peintures extraordinaires, mais qui ont toutes leur charme, une cinquantaine de sculptures, des moulages…). J’espère pouvoir agrandir les lieux de visite au fur et à mesure de leur restauration, je pense notamment à la chambre de Marmottan au dernier étage de la maison, et éventuellement une salle consacrée aux collections du Second Empire. Ici, on entre dans une maison d’un particulier, pas dans un musée en tant que tel : cela donne de la vie au lieu et une atmosphère bien particulière. Certaines pièces sont vraiment « dans leur jus » et c’est assez émouvant.La cohabitation entre les deux publics n’est pas toujours évidente, mais nous tâchons de cloisonner un peu les espaces : la salle de lecture pour les… lecteurs, le reste pour les visiteurs. Mais il n’y a rien que j’aime mieux que d’être au milieu des lecteurs, d’entendre les enfants dans l’atelier qui piaillent au second étage, les concertistes qui répètent pour leur prochain concert, et les visiteurs qui regardent l’accrochage…
Après, personnellement, je dois assurer la gestion des deux fonctions de la bibliothèque, en étant en même temps conservateur du musée et conservateur de la bibliothèque. C’est prenant… et passionnant !
Tu organises des événements ?
Bien sûr et j’aimerais les développer. Nous organisons des expositions « internes », c’est-à-dire que nous mettons en avant pour quelques mois telle ou telle thématique illustrée par des œuvres choisies dans le fonds important de la bibliothèque (6 000 estampes quand même !). Dans l’auditorium situé au sous-sol, nous proposons régulièrement des concerts et des conférences, notamment une par mois organisée par l’Institut Napoléon. Il y a un gros défi dans cette maison : assurer la qualité scientifique exigée par les spécialistes et par le niveau du fonds, en proposant des expositions pointues et solides, et ouvrir en même temps cet espace à tous les publics qui le souhaitent. J’ai plein de projets pour rendre vivant et accessible ce musée qui semble parfois un peu endormi : des festivals de musique et de cinéma, de la création napoléonienne contemporaine, une nuit de jeu en réseau sur Napoléon, des reconstitutions de batailles en soldats de plomb, des illuminations dans le jardin, des projections en plein air… ce ne sont pas les idées qui manquent ! Et puis, l’épopée napoléonienne fait souvent rêver, cela devrait attirer du monde. J’aimerais aussi développer davantage l’aspect musical, étant assez sensible à la musique (je suis musicienne moi-même). La musique sous le premier Empire est peu connue et pourtant tout à fait intéressante.Qu’est ce qui te plaît dans ton métier et dans ce lieu ?
D’y être ! Et de le faire vivre… Travailler au milieu de ces belles œuvres, au plus près de la beauté. Je suis peut-être un peu idéaliste, mais j’aimerais pouvoir faire largement découvrir et apprécier les trésors de cette bibliothèque, ces belles œuvres. Chaque œuvre a son histoire, c’est passionnant. Bon, évidemment, il ne faut pas que je m’y attache trop, je ne suis que le conservateur, pas le propriétaire. D’ailleurs c’est amusant, je le dis beaucoup en visite : Paul Marmottan avait épousé une Gabrielle, il faut croire que j’étais prédestinée à rentrer dans cette maison !
Et puis la diversité de mon travail : avec mon équipe, nous faisons tout de A à Z. J’assure la protection et la mise en valeur des collections. La protection, avec la numérisation et l’informatisation du fonds, sa restauration et son enrichissement, la mise en valeur, avec la mise sur pieds d’expositions et d’événements… mais aussi la gestion d’un bâtiment, d’une équipe, un travail en collectivité : il n’y a pas deux jours identiques à Marmottan !
Egalement le fait d’être au contact de plusieurs domaines artistiques : le patrimoine écrit – livres, archives (c’est tellement incroyable d’ouvrir une boîte d’archives et de tomber sur la lettre d’Élisa Bonaparte à sa mère,…) – le patrimoine figuré, estampes, la musique, sans oublier la recherche.
Comment vois-tu la bibliothèque pour les années à venir ?
Personnellement, j’aimerais continuer à nous concentrer sur l’Empire en tant que tel. Il y a suffisamment à faire. Après, les deux aspects « scientifiques » et « touristiques » sont à développer : accroître les relations (qui existent déjà) avec le monde universitaire pour en faire un pôle connu et reconnu sur Napoléon, rationnaliser et enrichir les collections, ouvrir de nouveaux espaces, mettre en valeur le jardin, ouvrir davantage au public, faire davantage de communication… Beaucoup de projets en perspective ! D’ici là, n’hésitez pas à nous rendre visite !
Merci Gabrielle !
Bibliothèque Paul-Marmottan, 7, place Denfert-Rochereau, 92 100 Boulogne Billancourt
Tél : 01 55 18 57 61 – [email protected]