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Le fantôme de Jaurès

Publié le 24 avril 2014 par Blanchemanche

Le fantôme de Jaurès
JOSEPH MACÉ-SCARON 23 Avril 2014

François Hollande est en visite à Carmaux. Quitte à invoquer les grands anciens du socialisme, le chef de l’Etat serait mieux inspiré d’évoquer Guy Mollet plutôt que Jaurès.


SIPA
SIPACet après-midi, François Hollande se rend à Carmaux, la ville de Jaurès. Après une cérémonie de dépôt de gerbe au pied de la statue du tribun socialiste, le président de la République devrait prononcer un discours dans la salle François Mitterrand. Mitterrand qui, en 1980, avait lancé dans un discours flamboyant sa campagne présidentielle depuis la cité minière. Mitterrand, Jaurès, Carmaux… On ploie ici sous le poids des symboles socialistes. 
Au fond, ce qui est curieux chez ce chef de l’Etat, c’est son goût appuyé de revenir sur les traces de ses manques, de ses faiblesses et de ses engagements non tenus. La première fois, on se dit que c’est du courage politique, qu’il brave l’adversité. Et puis progressivement, on se surprend à penser que c’est peut-être aussi – surtout – une marque de totale et splendide indifférence.
 
Car le 16 avril 2012, François Hollande, alors candidat à la présidentielle était déjà venu à Carmaux sur cette place Jaurès. Devant 2000 militants et une poignée de notables radicaux qui l’acclamaient, il avait attaqué bille en tête le locataire de l’Elysée de l’époque : « En 2007, Nicolas Sarkozy à Toulouse avait cité trente-deux fois le nom de Jaurès. Il y a cinq ans, c'était sa référence, ironisait le député de Corrèze. Aujourd'hui, a-t-il cité une seule fois ce nom ? Il ne le pouvait plus. Il y a tant de différences entre ses paroles et ses actes ». Et de souligner combien, lui, candidat du PS se reconnaissait, à l’inverse dans la pensée de cette figure du socialisme : « Aujourd'hui, je me réclame de la synthèse de Jean Jaurès entre l'idéal que nous devons servir et le réel qui est devant nous. »
Bon. Evidemment, des phrases comme « Il y a tant de différences entre les paroles et les actes » ont, actuellement, une toute autre résonance. Lorsque l’on voit ce qu’Hollande a fait depuis deux ans ou plutôt ce qu’il n’a pas fait, ces mots claquent comme une gifle tant il y a de distances, précisément, entre ses paroles et ses actes. Il est toujours dangereux de vouloir ressusciter les fantômes du passé : on risque de se faire tirer par les pieds durant toute la nuit jusqu’au chant du coq.
Quitte à invoquer les grands du socialisme, le chef de l’Etat serait mieux inspiré d’évoquer Guy Mollet plutôt que Jaurès. Guy Mollet, leader de la SFIO (ce que redeviendra peut-être dans quelques années le PS), inventa le molletisme. Le molletisme est cette pratique politique qui consiste à avoir un discours politique  à gauche ou radical (du style : « mon véritable adversaire, c’est la finance »), combiné à une  action gouvernementale modérée, centriste et même parfois franchement à droite au risque de tromper les militants et les électeurs – pour un temps - sur les possibilités réelles de changement et de réformes sociales.
Malheureusement, on n’est pas prêt de voir un haut responsable socialiste se recueillir un jour à Arras et chanter les mérites de l’ancien président du conseil. Dommage, pour une fois, le PS aurait « servi le réel » comme disait Jaurès. Mais Mollet n’a jamais eu bonne presse dans cette famille Adams qu’est le parti socialiste. Ni père comme Jaurès, ni grand frère comme Mendès ou Blum, c’est plutôt un oncle un peu sulfureux. Un jour, Michèle Rocard, femme de Michel, eut ce mot cruel : « Je préfèrerai être la veuve de Pierre Mendès-France plutôt que celle de Guy Mollet ». Le lendemain matin, un rocardien fidèle devenu depuis un hollandais fidèle, dut sauter dans le premier train pour aller présenter ses plus plates excuses à la veuve du patron de la SFIO.
Dernièrement Shimon Pérès qui a connu tous les dirigeants socialistes ou travaillistes de ces cinquante dernières années, confiait que François Hollande lui faisait penser à Guy Mollet. Ce qui dans sa bouche était un compliment. A notre connaissance, l’impétrant n’a toujours pas répondu à cette amabilité. 

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