Déconcertant, imparfait, spontané, Un Voyage, le nouveau film de Samuel Benchetrit (J’ai toujours rêvé d’être un gangster), surprend par sa mise en scène épurée et instinctive, parfois maladroite et à l’esthétique peu soignée (les scènes filmées caméra à l’épaule ne sont pas toujours du meilleur effet), pour coller au plus près de ce couple fusionnel, uni jusque dans ce dernier voyage bouleversant.
L’atmosphère pesante contraste avec les paysages montagneux et verdoyants ; l’apparente jovialité de Mona (magnifique Anna Mouglalis), solaire et désinvolte, détonne avec l’infinie tristesse qui se dégage de Daniel (formidable Yann Goven), tout en retenu ; la douceur avec laquelle ce couple se parle, s’écoute et se regarde tranche avec la violence du drame qu’ils sont en train de vivre. Car Mona, atteinte d’une maladie incurable, a décidé de passer la frontière pour se faire euthanasier…
L’urgence de vivre les derniers moments et la tension permanente sont atténuées par des rencontres fugaces et authentiques : celle avec une jeune femme ébranlée, perdue dans sa solitude (Céline Sallette, remarquable), que son époux ne semble plus remarquer ; ou bien celle avec un policier aux allures d’armoire à glace, aux petits soins pour sa mère malade… des personnages secondaires brossés en quelques coups de pinceaux qui révèlent des fêlures touchantes et font écho aux personnages de Mona et Daniel.
« Je voulais être dans une chronologie des sentiments, et non dans une chronologie de temps » nous explique Samuel Benchetrit, que nous avons rencontré lors d’une table ronde. « J’avais envie de filmer une histoire d’amour et de rupture, et d’offrir à Anna Mouglalis un rôle important. Avec Yann Goven, qui me semblait posséder ces « cicatrices invisibles » essentielles au rôle de Daniel, Anna était tout de suite dans la complicité. Nous avions un budget très serré, une équipe de seulement quelques personnes et peu de jours de tournage. Ces contraintes, quoique très compliquées à gérer, m’ont permis d’emprunter des chemins différents, d’être plus instinctif aussi. Je suis allé vers une économie de langage pour laisser la place au son : les bruits de pas sont devenus une musique, le vent, du lyrisme… le réalisme que je fuyais s’est imposé. Quant à ce désir de minimalisme, il s’illustre également par les compositions – très électro – de Raphaël, qui signe pour la première fois la musique d’un film. Elles accentuent la mélancolie qui se dégage d’Un Voyage et qui correspond à l’état d’esprit dans lequel j’étais au moment de la réalisation. »
Gracieuse et lumineuse, Anna Mouglalis ajoute de sa belle voix grave : « Samuel est un intuitif : il offre une grande liberté de jeu à ses acteurs. En fonction du scénario, il sait créer une ambiance propice aux scènes. Par exemple, celles où les sentiments devaient être contenus ont été particulièrement difficiles à tourner. Mais nous nous sommes fait confiance. Cela donne un film d’une grande émotion, presque littéraire quand on y pense. »
Si le résultat déroute, Un Voyage nous laisse une impression de rêve, poétique, insensé et cauchemardesque. Et l’on se demande déjà quel sera le prochain projet du réalisateur imprévisible.
Sortie le 23 avril 2014.
Un voyage