La tapisserie d’art n’occupe pas en France la place qui devrait légitimement lui revenir. Si la peinture, la sculpture, les installations, voire maintenant la vidéo, attirent le public, la tapisserie semble reléguée au rang d’artisanat d’art dont la portée serait simplement décorative. En Europe du Nord et de l’Est, il en va tout autrement. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les artistes de ces régions sont si actifs et leurs créations si originales, alliant graphismes hardis et techniques innovantes.
La troisième édition de l’exposition ARTAPESTRY, qui se tient au musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine d’Angers jusqu’au 18 mai prochain, rend compte de cette vitalité et de cette diversité. Ouverte aux artistes lissiers dont les œuvres, toutes de grand format, font l’objet d’une sélection rigoureuse, cette manifestation, devenue une référence européenne du genre, accueille cette année 25 créateurs contemporains dont les tapisseries se confrontent à quelques pièces emblématiques issues des collections permanentes du musée. La scénographie, sobre et bien pensée, permet au visiteur de distinguer facilement les premières (sur fond noir) des secondes (sur fond blanc), à travers un parcours thématique judicieux.
Sans doute la mise en regard de tapisseries des XVIe et XVIIe siècles (Penthésilée et Verdure) et de réalisations contemporaines, ou bien la confrontation de grands maîtres (Paul Klee, Lurçat, Calder, Grau-Garriga, Thomas Gleb ou Raoul Ubac) et de créateurs plus jeunes présentaient quelques risques, notamment d’une hétérogénéité trop marquée, de nature à rendre l’ensemble incohérent. Or, le choix sûr de la cinquantaine d’œuvres présentée évite cet écueil et donne à l’exposition une réelle consistance.
Au nombre des tapisseries du fonds permanent du musée, on ne pourra faire l’impasse sur Huinca toro ! de Gracia Cuttuli, qui rassemble des bandes tissées peintes aux teintes chaudes, le synthétique Paysage fond blanc d’Ubac, le flamboyant Soleil rouge de Calder. Une réunion insolite captera tout autant l’attention : celle d’une petite toile de Mario Prassinos (aussi connu pour les cartonnages qu’il réalisa pour Gallimard), Prétextat, et de la remarquable interprétation qu’en réalisa le lissier Pierre Daquin.
Parmi les pièces les plus représentatives de la nouvelle génération, on notera en particulier l’étonnant Black Shell, de Federica Luzzi, Winter Tale, d’Iska van Kempen-Jarnicka qui rappelle singulièrement l’atmosphère de la forêt de Katyn, The Wolf crossed the road, très coloré, de la Finlandaise Ariadna Donner, l’inquiétant Lutter pour toute l’éternité de la Française Sarah Perret, d’un goût expressionniste ou le triptyque Poussières d’étoiles de Carmen Groza, qui offre une certaine proximité avec les installations abstraites du plasticien Stéphane Calais.
Il est intéressant d’observer la grande diversité des techniques et matériaux employés par les créateurs contemporains, parfois au sein d’une même œuvre, qui, comme pour les Nymphéas de Monet, invite le spectateur à s’éloigner pour profiter d’une vue d’ensemble, puis à se rapprocher au plus près pour en mesurer la complexité. Plus surprenante encore sera probablement l’arrivée, dans cet art du tissage de haute tradition, des nouvelles technologies ; ainsi, la Danoise Grethe Sørensen expose-t-elle ici, à partir d’une vidéo, un monumental tissage sur métier numérique Jacquard, intitulé Neon / HongKong 1, qui ouvre de réelles perspectives.
Illustrations : Ariadna Donner, The Wolf crossed the road, 2009 - Alexandre Calder, Soleil rouge, 1964 - Mario Prassinos, Prétextat, 1971 - Grethe Sørensen, Neon / Hongkong 1, 2011 - Photos Grethe Sørensen © T. Savatier.