La Cour administrative d'appel de Marseille, saisie de demandes d'indemnisation fondées sur les dispositions du nouvel article L.600-7 du code de l'urbanisme vient de rendre plusieurs arrêts qui retiendront l'attention des acteurs du contentieux de l'urbanisme.
Pour mémoire, l'article L600-7 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de l'article 2 de l'Ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013, dispose :
"Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l'auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel."
Lorsqu'une association régulièrement déclarée et ayant pour objet principal la protection de l'environnement au sens de l'article L. 141-1 du code de l'environnement est l'auteur du recours, elle est présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes."
Je vous propose la lecture de ma note sur le sens et la portée de l'ordonnance du 18 juillet 2013 dont sont issues ces dispositions de l'article L.600-7 du code de l'urbanisme.
Cette réforme était destinée à réduire le nombre des recours "malveillants" ou "illégitimes" contre les autorisations d'urbanisme : permis de construire, permis d'aménager. Elle permet au bénéficiaire de l'autorisation attaquée de présenter, par mémoire distinct, une demande d'indemnisation à raison du "préjudice excessif" qu'il subit.
Saisie de demandes d'indemnisation fondées sur les dispositions de l'article L.600-7 du code de l'urbanisme, la Cour administrative d'appel de Marseille, par arrêts du 6, du 20 et du 24 mars 2014 vient de préciser les conditions d'examen de ce type de demandes :
CAA de MARSEILLE, 9ème chambre - formation à 3, 24/03/2014, 12MA01160
CAA de MARSEILLE, 1ère chambre - formation à 3, 20/03/2014, 13MA03143
CAA de MARSEILLE, 1ère chambre - formation à 3, 20/03/2014, 12MA00380
CAA de MARSEILLE, 1ère chambre - formation à 3, 20/03/2014, 13MA02236
CAA de MARSEILLE, 1ère chambre - formation à 3, 20/03/2014, 13MA02161
Cour Administrative d'Appel de Marseille, 1ère chambre - formation à 3, 06/03/2014, 12MA02615
La rédaction de l'arrêt est parfois trop brève pour qu'il soit possible de déterminer les motifs précis de rejet de la demande indemnitaire. Ainsi l'arrêt rendu le 24 mars 2014 précise :
"23. Considérant qu'aux termes de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme : " Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager est mis en oeuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l'auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. " ;
24. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la présente requête n'a pas excédé la défense des intérêts légitimes de M. F...et autres qui au demeurant n'établissent nullement avoir subi un préjudice excessif ; que les conclusions de M. N...et MmeP..., présentées sur le fondement de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme doivent donc, en tout état de cause, être rejetées ;"
La Cour administrative d'appel de Marseille a également rejeté (arrêt n°13MA03143 du 20 mars 2014) une demande indemnitaire opposée au recours d'une association au motif que la preuve du caractère illégitime de l'action de cette dernière n'était pas rapportée :
"10. Considérant que, par mémoire distinct enregistré le 5 décembre 2013, la SCI S demande la condamnation de l'association B. à lui verser une somme de 235 432 euros à parfaire au titre des dispositions de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme ; que ces dispositions sont applicables aux litiges en cours à la date de leur entrée en vigueur dès lors qu'elles n'affectent pas de manière substantielle le droit de former un recours ; que la SCI fait valoir que la requérante est une association de pure circonstance qui cherche à se créer un intérêt à agir pour faire obstacle à la réalisation d'un ensemble immobilier ; que, toutefois, la seule circonstance que l'association, regroupant près d'une cinquantaine de personnes physiques, ait déposé ses statuts en préfecture postérieurement à l'affichage en mairie de la demande du permis de construire ne peut suffire à faire regarder son action comme excédant la défense de ses intérêts légitimes ; que, par suite, les conclusions à fin de dommages et intérêts présentées par la SCI S doivent être rejetées"
Sur la forme, l'arrêt rendu le 20 mars 2014 par la Cour administrative d'appel de Marseille rappelle que la demande doit être formulée par mémoire distinct :
"que, d'autre part, à supposer même que Mme A... ait entendu invoquer le bénéfice des dispositions de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme entrées postérieurement en vigueur le 19 août 2013, elle n'a pas présenté ses conclusions indemnitaires par mémoire distinct ; que les conclusions présentées Mme A...tendant à la condamnation du requérant à lui verser une indemnité de 10 000 euros, sont dès lors irrecevables comme le soutient M. D...et ne peuvent qu'être rejetées ;"
C'est principalement, l'arrêt n°13MA02236 du 20 mars 2014 qui retiendra l'attention.
De première part, la Cour rejette le moyen tiré de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'ordonnance du 18 juillet 2013 (alors acte administratif) avec "le principe de séparation des pouvoirs et la répartition des compétences entre les juridictions" mais aussi "l'objectif d'intelligibilité" et "celui de clarté de la loi":
"14. Considérant, en deuxième lieu, que M. C...soutient que l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme est contraire à la Constitution en ce qu'il méconnait le principe de séparation des pouvoirs et la répartition des compétences entre les juridictions ; que ce moyen est utilement soulevé devant le juge administratif dès lors qu'en l'absence de ratification expresse de l'ordonnance du 18 juillet 2013 par le législateur, cet article conserve le caractère d'un acte administratif ; qu'il résulte de l'exposé des motifs de la loi du 1er juillet 2013 et du rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance du 18 juillet 2013 que le législateur a entendu habiliter le Gouvernement à prendre toute disposition utile en aménageant les compétences et les pouvoirs des juridictions ; qu'ainsi, l'aménagement de la répartition des compétences entre les juridictions, autorisé par la loi, n'entache aucunement l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme d'une inconstitutionnalité ; que cet article n'est contraire ni à l'objectif d'intelligibilité ni à celui de clarté de la loi ; que, en tout état de cause, il n'est pas nécessaire de surseoir à statuer pour transmission d'une question préjudicielle au juge judiciaire ;"
De deuxième part, la Cour administrative d'appel de Marseille rejette, au cas présent, la demande indemnitaire au motif de l'absence de lien de causalité entre le préjudice allégué et le recours, dés lors que plusieurs recours ont été formés :
"16. Considérant que la SNC M. fait valoir que le recours de M. C... a eu pour effet de reporter la réalisation du projet et pour conséquence le désistement de 132 clients réservataires, que l'ensemble immobilier en cause est un projet d'envergure dont le chiffre d'affaires s'élève à 90 millions d'euros et que, dans ces circonstances, le recours a engendré un préjudice financier que la SNC évalue à la somme de 3 860 723 euros ; que, toutefois, ainsi que le soutient le requérant, le permis de construire attaqué a fait l'objet d'autres recours, dont un a fait l'objet d'un arrêt de la Cour en date du 31 octobre 2013 et trois de jugements du tribunal administratif de Marseille en date du 13 février 2014 ; qu'ainsi, les préjudices allégués par la SNC ne sont pas uniquement imputables au recours de M. C... ; que le lien de causalité n'est, dès lors, pas établi entre ce dernier et le préjudice du bénéficiaire du permis ; que, par suite, les conclusions à fin d'allocation de dommages et intérêts présentées par la SNC M doivent être rejetées"
Aux termes de ces premières décisions, le dispositif lui-même est consacré et les conditions d'octroi de l'indemnisation commencent à être précisées. Mais il va de soi qu'il convient d'attendre une décision "positive", au terme de laquelle une telle indemnisation aura été accordée par le Juge administratif.
Arnaud Gossement / avocat associé
Selarl Gossement avocats