Daniel Arasse est pour moi un modèle d’écriture. On pourrait dire qu’il y a une idée qui est en train de revenir aujourd’hui dans les sciences sociales, idée pleinement poétique et littéraire : seule la description est révolutionnaire. Il faut décrire exactement le monde tel qu’il est, car le constat, dès lors qu’il est implacable et juste, est plus subversif que l’indignation. Voici une idée machiavélienne. Et, au fond, ce que faisait Daniel Arasse, c’était retarder le plus longtemps possible le moment de l’analyse. Tous les livres d’histoire que j’aime font peser la charge de la démonstration sur la description ou sur le récit. Raconter, mais pas divaguer : mettre en récit l’image. Ça signifie laisser faire les images, les laisser venir à nous pour agir avec elles avec tact, délicatesse. De L’histoire rapprochée de la peinture d’Arasse, on retient toujours le « détail ». Mais pour aller au détail, il faut être tendre, patient, posé. Évidemment que Google, avec Art Project, et l’informatique en général offrent des possibilités techniques infinies qui nous fascinent. Mais que fait-on vraiment du Google Art Project ? On vérifie de manière compulsive la virtuosité technique du dispositif : on va zoomer violemment sur l’image, jusqu’au pigment, jusqu’à la craquelure de la matière picturale, puis l’on va dé-zoomer tout aussi rapidement. Un mouvement qui, au cinéma, ferait vomir toute la salle, un travelling trop violent, indécent. C’est ce mouvement-là, brutal., qu’il s’agit de refuser Le livre peut frôler les images, il évite le zoom à la hussarde.
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