Les banquets
L’aspirant-écrivain doit avoir bon estomac et
pouvoir se rendre à tous les banquets, déjeuners ou simples dîners littéraires.
C’est là que ses talents d’arriviste s’exerceront avec profit.
Il aura bien
soin de se faire placer à côté d’un critique influent, d’un courriériste
grognon, ou bien d’un directeur littéraire de quotidien. Pendant le repas, il
sera éblouissant de verve, racontera des anecdotes sur les ennemis de ses
voisins (se renseigner à l’avance), qu’il ne craigne pas de flatter ceux qu’il
veut apprivoiser. Il devra naturellement les appeler
« Maître ! » et être en mesure de réciter des fragments de leurs
œuvres, tout au moins apprendra-t-il par cœur la liste complète desdites
œuvres.
Les banquets littéraires ont cela de bon que les plus farouches
critiques y perdent toujours un peu de leur indépendance. Ceux qui sont assez
stupides pour s’y rendre sont, règle générale, savamment cuisinés par les
roublards.
Comment voulez-vous, par exemple, qu’un courriériste littéraire, qui
a l’habitude d’être très rosse vis-à-vis des écrivains qu’il juge, ne puisse ne
pas être indulgent pour vous désormais, si vous avez vidé en sa compagnie de
nombreuses chopes et si vous lui avez tapé cordialement sur le ventre, au bout
de dix minutes de conversation ?
P.-S. La présentation de cette série d'articles publiés dans L'Aurore en 1914 se trouve ici. Ils ont été retrouvés grâce à Gallica.