Banderille n°228 : Sévice(s) public(s) et droit de rêve

Publié le 15 mai 2008 par Toreador

La caste des Brahmanes

Entendu sur i-télé, le secrétaire général de la FSU, un certain Gérard Aschieri. Ce dernier réagissait à l’annonce faite par le président de la République selon laquelle les professeurs devront désormais prévenir 48 h à l’avance lorsqu’ils seront grévistes.

Je le cite à peu près mot pour mot : « On limite le droit de grève à partir du moment où l’on pose des conditions pour son exercice« . Le vaillant syndicaliste a laissé entendre qu’il s’agissait d’une « atteinte à un droit fondamental ».

Voilà une nouvelle preuve que pour certaines personnes (mais il n’est pas le seul), le droit de grève est une espèce de vache sacrée indienne, un droit qui s’exerce de manière absolue et qui ne saurait souffrir de règles trop pesantes, ou susceptibles de porter atteinte à la liberté de l’individu.

ô toi, parent d’élèves qui appartient aux intouchables : comment oses-tu demander des comptes à la caste des brahmanes ? Sans doute sur la foi de cet article 15 de la déclaration de 1789 (La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. ») ? Naïf ! impertinent ! faquin !

Bibliographie sélective

Deux erreurs essentielles éclosent sur ce terreau d’à-peu-près idéologique.

Premièrement, le droit de grève est un droit collectif, et non individuel. Certains voient dans la proposition de Nicolas Sarkozy une dérive, une individualisation outrancière de ce droit collectif. Pour ma part, j’ai l’opinion inverse : il est impropre de qualifier la règle du préavis de 48h de « restriction du droit de grève », puisque la contrainte imposée ne pèse pas sur sa pratique collective, mais sur son appendice individualisé. Si je prends l’exemple du droit d’association, une restriction réelle serait par exemple que la loi interdise subitement toute association dépassant plus de 4 personnes. Bien que cette loi présenterait l’avantage de débarrasser le schmiliModem-cabine-téléphonique de tous ses concurrents, il s’agirait surtout d’une intolérable atteinte à un droit collectif. En revanche, obliger tout français à déclarer ses appartenances associatives ne serait pas une restriction stricto sensu, mais sans doute une atteinte à un autre droit individuel, celui au respect de la vie privée. Or, dans le cas du droit de grève, je ne vois pas à quel droit individuel cette condition des 48h porte atteinte.

Ensuite, deuxième erreur, M. Aschieri n’a jamais lu semble-t-il le préambule de la Constitution de 1946, qui sert de base juridique à ce droit si souvent invoqué : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. ». Cela veut bien dire ce que cela veut dire. La loi peut moduler, restreindre, voire interdire le droit de grève – ce qui est le cas pour certaines professions. A l’inverse, lorsque certains de ses collègues s’offusquent de la mise en place d’un service minimum dans les écoles, l’on ne peut s’empêcher de penser que leurs lectures sont décidément sélectives car ce même préambule continue ainsi : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat.« 

En conclusion, il me semble que prévenir 48h à l’avance qu’on exerce son droit de grève n’est nullement une atteinte aux droits collectifs des salariés, ni à leurs droits individuels d’ailleurs. Tout au plus une mesure de courtoisie et de bonne organisation, afin de prévoir à l’avance le fonctionnement des services publics.

D’ailleurs, si l’on veut vraiment invoquer les « droits de l’homme », autant se référer au texte de 1789 qui contient quelques vérités fort bien écrites : « Art. 4. -La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »

On a bien le droit de rêver un peu, non ?

P.S : On notera le silence assourdissant de la Gauche sur des sujets autrement plus concrets, comme par exemple la mort de milliers de personnes en Birmanie faute d’accès aux populations sinistrées. Que fait l’ONU ? Que dit notre ministre des affaires étrangères, autrefois si prompt à invoquer le droit d’ingérence ? Que dit la Gauche ? Va-t-on encore longtemps rester aveugle face à la misère de ceux qui n’ont rien, au prétexte qu’ils sont menés par des dictateurs qui les ont privés, eux pour le coup, des droits individuels les plus fondamentaux ?