Xavier Beulin: le Crésus du terroir-caisse

Publié le 22 avril 2014 par Blanchemanche
Xavier Beulin: le Crésus du terroir-caisse
PÉRICO LÉGASSE Mardi 22 Avril 2014

Alors que nos derniers paysans disparaissent, le lobby de la malbouffe et de l'industrialisation des campagnes garde la haute main sur le syndicat majoritaire. Voici le fossoyeur de l'agriculture française confirmé dans ses œuvres.


Xavier Beulin - ALAIN ROBERT/APERCU/SIPASigne des temps, usure des consciences ou résignation collective, Xavier Beulin briguait un second mandat à la tête du premier syndicat agricole français sans aucun candidat face à lui et tout le monde a trouvé ça normal. Le président de la FNSEA a donc été réélu le 9 avril à l'unanimité. 
«N'allez surtout pas croire qu'il les tyrannise au point d'étouffer toute contestation, non, il fait beaucoup mieux, il les fascine ! Pensez, avoir un agrobusinessman se déplaçant en jet privé pour gérer ses transactions internationales, c'est quand même plus classe qu'un péquenot en casquette rivé sur son tracteur», confie un ancien adhérent. 
La nouvelle n'a pas heurté outre mesure. Sans doute faut-il être un peu niais pour s'en offusquer ou s'illusionner sur ce qu'est devenue l'institution la plus représentative de notre agriculture. Majoritaire en voix (54,74 % aux dernières élections), la FNSEA préside la totalité des chambres d'agriculture à l'exception de celles du Calvados, de la Charente et du Lot-et-Garonne, détenues par la Coordination rurale (20,49 %), et celles du Puy-de-Dôme et de la Réunion, acquises à la Confédération paysanne (18,54 %). 
L'élection de Xavier Beulin, représentant des gros céréaliers et des oléagineux, face à Dominique Barrau, plus proche des éleveurs et des petits exploitants, en 2010, fut une grosse surprise. Six petites voix de majorité alors que le décompte des intentions des «grands électeurs» donnait l'inverse. «Tout le monde a le droit de changer d'avis au dernier moment...» concluait alors un patron de fédération.

PRESSE, BIOCARBURANTS, LOBBYING...


Voici la majorité des paysans français aujourd'hui représentée - le terme «défendus» serait incongru - par un homme qui les tient en haute estime : «Celui qui a 2 ha, trois chèvres et deux moutons n'est pas agriculteur», tranche Xavier Beulin dans sa définition d'une «vraie» exploitation agricole (genre si on n'a pas 300 ha à 50 ans, on a raté sa vie...). 
On le comprend, car lui est un vrai paysan enraciné dans la terre : PDG de la Sofiprotéol, holding financier au chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros dont les activités se déploient aussi bien dans le commerce de la semence, de l'alimentation animale, à travers sa filiale Glon-Sanders, que celui du Diester, un biocarburant à base d'ester méthylique d'huile végétale obtenu par transestérification à l'hydroxyde de sodium. 
Le groupe Sofiprotéol contrôle également les huiles Lesieur et Puget, mais aussi la société Farmor, un bijou de l'industrie agro-alimentaire produisant chaque année pour 125 millions d'euros de préparations à base de volaille bas de gamme (type nuggets, Pasta Box, topping pizzas), destinées à la restauration collective ou à la grande distribution. 
Diffusé le 6 avril sur M6 dans «Capital», un documentaire révélait que Farmor importait du poulet brésilien industriel, au grand dam des éleveurs bretons au bord de la faillite. Merci Xavier ! Actionnaire du magazine la France agricole, Beulin est également administrateur du Crédit agricole, président du Conseil économique et social de la région Centre, président du port de La Rochelle et vice-président de la Copa-Cogeca, puissant lobby de coopérateurs agricoles européens agissant auprès de la Commission. 
Tout ça sent bon la basse-cour et le foin frais. Voilà l'homme qui représente l'agriculture française à l'Elysée et à Bruxelles. La chaumière peut dormir tranquille, cet ultradéfenseur des OGM veille au grain. Pour lui, le terroir est un fonds d'investissement. 
Aux commandes depuis 2010, Xavier Beulin incarne une vision moderne, conquérante, agressive de l'agriculture à visage bancaire. D'ailleurs, depuis qu'il tire les ficelles, la paysannerie se porte mieux. Avec une augmentation de plus de 12 % des dépôts de bilan par rapport à l'année précédente, 2013 a vu 1 261 exploitations agricoles mettre la clé sous la porte. 
Il y a cinquante ans, la France comptait 2,5 millions de fermes. Elles étaient encore au nombre de 700 000 en 1990, on n'en compte plus que 515 000 en 2013. Près de 200 par semaine mettent la clé sous la porte. Certes, il s'en crée de nouvelles chaque année, mais, à ce rythme-là, on peut considérer que la France n'aura plus de paysans proprement dits en 2050, sinon des complexes agroindustriels au service des grands trusts alimentaires. 
Dernier bastion de résistance à la banalisation globalisée, la ruralité agricole est porteuse d'identité nationale. A une réalité tragique s'ajoutent donc des perspectives dramatiques. Cela fait quarante ans que, de mensonge mitterrandien en fourberie chiraquienne et de fausse promesse sarkozyenne en renoncement hollandien, la caste politique nous mène en bateau avec des projets, des engagements, des serments jamais tenus. 
Aberrante situation d'un pays doté des meilleures conditions et capacités agricoles du monde et qui voit ce fleuron de son économie péricliter dans la résignation généralisée. Cette démission est d'abord celle d'une société qui s'est vautrée dans la consommation de masse sans aucun discernement et qui a renié son éthique alimentaire. Accumuler, pour ingurgiter tout et n'importe quoi, n'importe comment, tout le temps et en tout lieu. Liée au climat, à la saison, à la géographie, c'est-à-dire à des paramètres naturels, notre agriculture a été mercantilisée de force, pour ne pas dire obligée de se prostituer aux intérêts de la grande distribution via ceux de l'industrie agroalimentaire. 
Et pour cause. Après cinquante ans de financiarisation technocratique, la voici à genoux, exsangue, humiliée, méprisée et, pis que tout, assistée par le contribuable allemand. Pour reprendre le proverbe chinois, La PAC donne un poisson à celui qui a faim, mais ne lui apprend pas à pêcher. Prochaine étape : la mise à mort des élevages de moins de dix vaches dont les aides vont être supprimées. 

FINANCIARISATION DES CAMPAGNES

En ce sens, la lettre ouverte adressée par Xavier Beulin, aussitôt réélu, au ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, en dit long sur la vision et les intentions de la FNSEA. Il n'y est question que de produire mieux pour produire plus, c'est-à-dire augmenter les rendements pour augmenter les profits par plus de chimie et de technologie, en allégeant les réglementations protectrices de la santé et de l'environnement. 
«Arrêtons de dire non à ce qui est nouveau, retrouvons l'intérêt du progrès», lance Beulin, sous-entendu : gérons nos campagnes comme des financiers et livrons nos cultures au dieu OGM. Ce n'est pas de cela qu'a besoin l'agriculture française, mais de produire juste et bon pour que les paysans puissent vivre de leur travail en nourrissant leur pays. Il est évident que son secteur primaire devrait être pour la France une source de richesse phénoménale, lui garantissant et son autosuffisance alimentaire et des bénéfices records dans sa balance commerciale. Mais pas comme ça. 
L'agriculture, avec sa diversité territoriale et culturale, son génie agronomique, ses réserves naturelles et ses trésors alimentaires, c'est le pétrole de la France. Au lieu de quoi nous importons 40 % de nos besoins alimentaires en éradiquant les filières françaises des produits concernés. Le productivisme générateur de malbouffe gagne partout du terrain. Les activités les plus précieuses, élevage, maraîchage, agriculture de montagne, sont aux abois alors que les gros céréaliers, nantis et pollueurs, se goinfrent sur les prix et les subventions de Bruxelles. 
Reconduit au ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, Stéphane Le Foll a du pain sur la planche. Il est aujourd'hui le dernier rempart contre la «beulinisation» à outrance de ce qui reste du patrimoine agricole français à visage humain. Le seul qui peut permettre à la France de retrouver son statut de puissance paysanne grâce à son programme d'agroécologie. La République lui donnera-t-elle les moyens de cette mission de salut national ? Espérons-le, car, s'il échoue - et la FNSEA va tout faire pour qu'il morde la poussière -, notre patrie n'aura plus que ses yeux pour pleurer le plus essentiel et prestigieux de ses symboles.