A Venise, la Fondation François Pinault lève le voile sur le travail du photographe Irving Penn, mort en 2009, et présente aussi une amusante exposition sur l'exploration artistique de la lumière. Deux présentations lumineuses, voire brillantes...
©V.C.
D'abord, il y a cet espace cotonneux, parfaitement blanc et sans limites, qui attire le regard dès la porte du Palazzo Grassi poussée. Dans l'atrium, on est invité à poser ses chaussures et à recouvrir ses pieds de chaussons en tissu, blancs, évidemment. C'est drôle et les enfants rient déjà, dans toutes les langues. Ensuite, on pénètre dans l'oeuvre, les yeux levés pour essayer de comprendre cette sensation d'immensité, de non repère, car au bout du sol, on « tombe » sur des courbes douces, et le plafond n'est que la continuité du sol et des murs qui ne semblent pas en être. Pas d'angle droit, pas de traces, que du blanc mat. L'illusion est parfaite et l'oeuvre forte pour démarrer, justement, l'exposition qui s'appelle « L'illusion des lumières » . Cette entrée en matière lumineuse est signée de l'artiste californien Doug Wheeler.
Au fil des salles, la lumière montre toutes ses facettes, des plus évidentes, comme les oeuvres au néon de Robert Irwin ou Bertrand Lavier, jusqu'aux plus subtiles, tels les tableaux noirs de Troy Brauntuch où transparaissent des images, évoquant « notre désir de tout voir et l'obsession visuelle qui imprègnent notre société » .
Le visiteur n'est pas que spectateur puisqu'il entre dans le jeu des artistes au fil des salles, levant le voile au sens propre (d'immenses rideaux blancs brodés et vaporeux) pour voir les photographies de Danh Vo, ou scrutant avec persévérance le triptyque du groupe General Idea, trois tableaux blancs en apparence qui révèlent des tonalités délavées- un peu de rouge, un peu de vert, un peu de bleu- comme s'il fallait ne pas se laisser aveugler par la beauté immaculée et tenter de voir ce qui cache derrière les apparences.
Irving Penn, portraitiste accompli
L'autre grande exposition du Palazzo Grassi présente le travail d'Irving Penn sur une quarantaine d'années. Ce sont toutes des photos de la collection Pinault et la première grande expo consacrée au photographe américain en Italie. Penn est un photographe de studio avant tout, collaborateur dès 1943 du magazine Vogue auprès de son mentor, le directeur artistique Alexander Libermann.
On est fasciné par ses portraits des « petits métiers », réalisés en studio à Paris, Londres et New-York en 1950 et 1951. Charbonnier, pompier et sa lance, bouchers avec leurs tabliers sanguinolents, vendeur de journaux... Les visages sont riants ou fiers, presque plus à l'aise que ces stars installées dans un angle ou contre un mur qui semblent plus ou moins à l'étroit dans leur célébrité: Marcel Duchamp, Alfred Hitchcock, le boxeur Joe Louis, Marlène Dietrich, Georgia O'Keeffe...
Il faut voir cette exposition juste pour la salle des 17 internégatifs qui donnent une dimension quasi documentaire aux photos. On décèle parfaitement le grain de peau sur les visages, la brillance d'un ruban de satin, la finesse du papier à cigarette, le froissé d'un tissu en lin, le relief des veines sur le dos d'une main... Ils sont montrés pour la première fois au public et on savoure: ici, le sourire discret de Chagall alangui sur une toile de velours, la main sur le coeur, là, l'oeil vif et brillant de Picasso dans lequel se reflètent une verrière et le paysage qu'il y a derrière, comme si l'on pénétrait dans le regard et la tête du peintre, chapeau de feutre sur la tête qu'on a envie de lisser pour en toucher la douceur tant le grain de la photo est réaliste. Plus loin, ce sont des femmes marocaines prisonnières d'un voile de gaze mais dont on devine les yeux noirs perçants, la brillance des dents, l'éclat des bracelets d'argent. Le photographe laisse le sujet se révéler tout seul, il n'y a rien d'autre à dire.
©V.C.
Dans les photographies d'Irving Penn, on porte la même attention aux natures mortes qu'aux portraits tant ils sont parfaitement et démocratiquement mis en lumière, sans hiérarchie. Peut-être parce qu'il était peintre avant d'être photographe. Il a même aimé photographier les rebuts, vieux os usés jusqu'à la moelle, pavots fanés ou mégots flétris, et le fait est que tous irradient d'une beauté singulière sur les tirages. Au fil des salles, on se laisse happer par un camembert dont la crème coule, brillante et déjà figée, flanqué d'une fourmi sur sa croûte blanche et d'une poire bien rouge, tout autant que par le regard juvénile de Kate Moss en 1996, la lumière bienveillante sur le visage ridé mais serein de Colette ou le sourire angélique et doux d'une bande de Hells Angels californiens sur leurs bécanes rutilantes, en 1976.
*Palazzo Grassi: Campo San Samuele 3231, à Venise. Vaporetto: San Samuele (ligne 2). Plein tarif: 15€. Gratuit pour les enfants de moins de 12 ans et les personnes sans emploi. www.palazzograssi.it