Seuls occupants, avec le pommier, du promontoire sacré, trois accessoires de voyage sont exposés sur le sol. Pris isolément, aucun de ces trois objets n’a rien d’original : on les retrouve dans les autres Fuites en Egypte, de Patinir lui-même ou de ses contemporains.
C’est leur emplacement privilégié, au premier plan et aux pieds de Marie, ainsi que l’insistance mise sur leur arrangement le long du bâton, qui éveillent notre attention.
1) Le nécessaire de voyage
Le baluchon
Il se compose de deux poches enroulées autour du bâton, dispositif de portage simple et pratique.
Patinir insiste sur le blanc immaculé du tissu, suggère des formes à l’intérieur sans nous donner la possibilité de les identifier, et ne montre aucune ouverture : on distingue juste une couture sous la poche droite.
La gourde
Il s’agit d’une calebasse séchée, accessoire traditionnel du Pèlerin.
Fuite en Egypte, Ecole de Patinir, National Gallery, Londres
Elle aussi est destinée à être portée sur le bâton. On distingue d’ailleurs son attache en cuir autour du bâton, juste à droite du baluchon.
Le panier d’osier
Il est représenté avec une grande précision, on pourrait compter les brins d’osier. C’est un modèle courant, qu’on retrouve dans d’autres tableaux de l’époque.Quelquefois il est représenté ouvert.
La Nativité avec des donateurs, saint Jérôme et saint Léonard,
Gérard David, New York, Metropolitan Museum of Art
On le voit ici au premier plan juste devant le berceau de l’Enfant Jésus, associé à une gerbe de blé, et contenant des langes blanches.
Le repos pendant la Fuite en Egypte,
Quentin Massys,1509-13, Worcester Art Museum
Ici, il contient des linges blancs et des pommes.
Le repos pendant la Fuite en Egypte,
Gérad David, vers 1515, Prado, Madrid
Mais le plus souvent, il est représenté fermé. Dans cette Fuite en Egypte de Gérard David, on le voit deux fois : au premier plan posé à côté du bâton, à l’arrière-plan porté à l’épaule par Joseph. Il doit s’agir d’un garde-manger, à en croire la cuillère de bois que l’enfant Jésus tient en main.
Le bâton
C’est l’accessoire traditionnel de Joseph, mais aussi des pèlerins.
Le chapeau de paille
Ce large chapeau que Joseph porte dans son dos, est encore un accessoire de pèlerin, qui protège du soleil et de la pluie.
La calebasse, le bâton et le chapeau de Joseph ont pu faire interpréter le tableau comme relevant de la symbolique des tableaux de pèlerinage. Si l’on rajoute la marmite portative, le panier, et la grande cape bleue de Marie, qui peut également servir de couverture, on obtient, à peu près complet, le nécessaire de voyage de l’époque.
Le point à souligner est que les trois récipients : baluchon, gourde, panier, sont représentés fermés : il s’agit bien d’une halte de courte durée, pas d’un bivouac.
2) Trois accessoires joséphains
Le bâton
Le bâton soutient le baluchon sans risquer de le déchirer, sans réclamer aucune anse, aucune boutonnière. Connaissant la mauvaise réputation des triques de toute espèce, on ne peut imaginer système de suspension plus innocent, moins intrusif. Il évite également la saleté, la sueur de la main, et garantit le blanc immaculé du baluchon.
L’entonnoir
Au col de la gourde est attaché un petit entonnoir métallique. Il ne s’agit pas du tout d’un biberon, mais d’un objet courant, complément indispensable à la calebasse : il permet de la remplir directement à un filet d’eau, sans avoir à l’immerger dans un bassin. En ce sens, l’entonnoir garantit la pureté du contenu de la gourde.
Le cadenas
Il est rare de voir un cadenas sur un panier d’osier, matériau peu résistant aux effractions. Plutôt que de spéculer sur le contenu plus ou moins précieux, fragile, occulte du panier, contentons-nous de noter que celui-ci est un objet sous protection, cadenassé.
3) Trois récipients mariaux
Si ces trois accessoires font clairement allusion au rôle protecteur de Joseph, du coup les trois récipients complémentaires déclinent mécaniquement trois métaphores mariales :
- le baluchon immaculé qui s’adapte à toute forme, celle du bâton qui le porte et celle de l’objet qui le remplit, pourrait illustrer sa vertu d’Obéissance ;
- la calebasse remplie d’eau limpide, sa Pureté ;
- le panier cadenassé, sa Chasteté.
Le bâton, abandonné sur le sol et voué à côtoyer des sacs fessus, l’entonnoir – minuscule objet hermaphrodite réduit aux filets d’eau, et le cadenas – accessoire auto-érotique dont l’occupation au flanc du panier est de se pénétrer lui-même, peuvent passer, à nos yeux modernes, pour des substituts évidents de la virilité du bon Joseph.
Un regard plus candide se contentait d’y reconnaître trois accessoires positifs, trois dispositifs de protection de l’Obéissance, de la Pureté et de la Chasteté de Marie.
Remarquons que ces trois couples d’objets correspondent aux trois fonctions indispensables à tout voyage :
- Porter (bâton/baluchon),
- Boire (gourde/entonnoir),
- Protéger (Panier/cadenas).
Rien d’étonnant à ce que retrouvions, en chacun des voyageurs, une réplique de ce motif.
Menacer
Joseph-voyageur
Joseph porte à boire à Marie, protégé par son chapeau de paille. La tâche blanche dans la soupière suggère qu’il s’agit du lait destiné à l’agneau qui, juste au dessus de Joseph, est offert en sacrifice au Baal.
A notre trilogie Porter/Boire/Protéger s’ajoute un quatrième terme, indissociable lui-aussi de l’idée de voyage : l’alea, la mauvaise rencontre, la Menace.
Côté Joseph, elle se matérialise par l’idole chutant du clocher.
Marie-voyageuse
Joseph porte du lait à Marie qui donne le sein à Jésus : enchaînement de boissons .
Le manteau enveloppe Marie dont les bras enveloppent Jésus : imbrication de protections.
Le voile joue un rôle pudique : cacher la gorge de Marie, tout comme la coiffe cache sa chevelure (le tableau suggère d’ailleurs que l’un est le prolongement de l’autre).
Mais il joue surtout un rôle sacré : isoler le corps de Jésus. Ainsi la chair de Marie touche minimalement celle de son fils, juste son sein contre sa joue : comme dans ces chambres stériles où mère et fils ne font que se frôler.
C’est au travers du voile que Marie porte son fils en offrande au monde.
Le quatrième terme, la Menace côté Marie, est bien sûr l‘idole de la sphère, qui vient d’être proprement sectionnée et précipitée dans les bas-fonds.
Comme par un jeu d’écho, ce motif quaternaire des voyageurs – Porter, Boire, Protéger, Etre menacé – va développer ses harmoniques dans l’ensemble de la composition.
D’une certaine manière, avec Patinir, c’est tout le paysage qui voyage !
4) Echos en Egypte
Dans la partie gauche, côté Egypte, les servants portent de jeunes animaux pour conjurer la menace de Baal.
A gauche du pont, les latrines de la ville soulignent que l’eau qui coule en dessous est une boisson impure.
La citadelle dans la montagne protège le monde païen, qui vit sous la menace du Baal.
Echos en Judée
A droite, côté Judée, la poignée du panier est tournée en direction du champ de blé, signalant l’affinité entre l’objet manufacturé et sa matière première, la paille : tout comme le panier protège son contenu contre les guêpes, le champ de blé protège la Sainte Famille contre la menace des soldats.
La source pure, inversant la rivière souillée des Egyptiens, illustre la fonction « Boire ».
Et l’âne remet les choses dans l’ordre naturel : ce n’est plus, comme en Egypte, l’homme qui porte l’enfant de l’animal, mais l’animal qui porte l’enfant de l’homme.
6) Echos dans l’arbre
Dans Une Forêt de Symboles, nous avons proposé l’hypothèse du « palmier caché« , selon laquelle les deux arbres éminents, pommier et châtaignier, doivent être lus en fait comme un arbre à double frondaison, composé de quatre symboles :
- les pommes : l’humanité avant le Christ, marquée par le péché originel ;
- les châtaignes : l’humanité chrétienne, désormais protégée du mal par une bogue robuste ;
- entre les deux, la jeune vigne : Jésus Enfant ;
- le lierre en bas du tronc : le serpent, désormais rendu inoffensif.
Par la pensée, rabattons sur le sol notre arbre à double frondaison, de sorte que son tronc coïncide avec le bâton : les pommes se posent dans le baluchon, la vigne dans la gourde, les châtaignes dans le panier.
La vigne
Nous retrouvons bien la fonction « Boire ». Tandis que la gourde évoque la pureté de Marie, la jeune vigne promet le vin de la Passion de Jésus.
Les châtaignes
Avec leurs piquants, elles illustrent d’une manière éclatante la fonction « Protéger ». Châtaignes et panier partagent le même cousinage symbolique : Protection, Chasteté.
Les pommes
Les pommes rentrent de manière moins immédiate dans notre schéma de lecture : elles devraient, comme le baluchon, évoquer la fonction « Porter« . Une nuance de cette idée nous est suggérée par la Génèse :
« La femme vit que le fruit de l’arbre était bon à manger, agréable à la vue et désirable pour acquérir l’intelligence; elle prit de son fruit et en mangea; elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il en mangea. » Genèse 3,6
Porter est donc ici à prendre dans le sens d’offrir, tout comme les Egytiens portent des animaux en offrande au Baal.
Le serpent
Du coup nous reconnaissons, déguisé en lierre enserrant la base de l’arbre de Vie, ce vieux serpent d’Eden dans le rôle de la Menace.
Les symboles de l’arbre développent une nouvelle variation sur notre motif quaternaire.
En nous incitant à établir une relation entre les pommes et l’idée de « Porter », cette grille de lecture fait remonter à la surface la scène implicite cachée sous le tableau : « Eve porte la pomme à Adam« .
Nous comprenons maintenant plus en profondeur la scène explicite que le tableau affiche : « Joseph porte à Marie le lait de l’agneau ». Le couple inaugural de la Nouvelle Ere refait, en inversant les rôles, le geste du couple maudit de l’ancienne Loi. En quelque sorte l’homme « rend » à la femme son offrande : mais la pomme, entâchée du péché originel, a été transmutée en lait blanc, issu d’un agneau innocent.
On pourrait dire en souriant qu’avec Adam et Eve, l’humanité était condamnée au strict végétalisme : « tu mangeras l’herbe des champs ». A l’imitation de Marie et Joseph, elle devient sous nos yeux végétarienne – mais pour l’instant la viande va encore au Baal des Egyptiens. Il faudra attendre le sacrifice de Jésus et l’extinction définitive du paganisme, pour qu’elle accède enfin à la nourriture des anciens Dieux : le régime carné.
7) Echos dans la clairière
Ce n’est pas terminé ? Non, pas tout à fait. C’est le propre des échos de se répercuter à l’infini, de plus en lointains, de plus en plus faibles… Et si nous regardions à la loupe, là bas, au fond de la clairière ?
La besace du Semeur
Encore un sac, blanc comme le baluchon. Après le fruit offert à Adam, les jeunes animaux au monstre païen, l’enfant Jésus à l’humanité, voici une nouvel avatar de l’offrande d’un petit être à un gros : le « semeur porte des graines à la terre ».
La truie et ses porcelets
Allaiter dans le dos de la Vierge allaitante : grosse charge symbolique pour cette scène en miniature. La portée de porcelets insatiables symbolise-t-elle les vices et la gloutonnerie ?
Remarquons que ces cochons-là sont blancs (à l’époque, les porcs domestiques étaient plutôt noirs comme l’enfer), ceci pour éviter toute interprétation négative. Plutôt donc faut-il comprendre que la Vierge et la truie partagent la même destinée de mammifère ; ce qui les rapproche, c’est l’idée de la maternité : donner à boire à sa progéniture.
Le rucher
Après le panier, le champ de blé, le chapeau, voici un nouvel objet de paille qui a à voir avec l’idée de Protéger. Les ruches protègent leur miel ; et les abeilles, armées de leurs dards, savent défendre le fruit de leurs efforts, comme les bogues épineuses les châtaignes.
La cravache du herseur
Dans cette dernière saynette, la menace est matérialisée par la cravache que le herseur brandit au nez du cheval pour l’inciter à tirer.
Echos dans la campagne
Les trois objets mis en évidence au premier plan sont les paradigmes des trois fonctions du voyage, Porter/Boire/Protéger. Avec son quatrième terme, Menacer, le motif se déploie dans l’ensemble de la composition :
au point que les objets des voyageurs semblent la version sacralisée, mobilisée, itinérante, des éléments du paysage.
Les éléments illustrant l’idée de Menace – idoles déquillées, Baal miniature, soldats trompés, lierre-serpent relégué au bas du tronc comme une vieille chausse, cravache bénigne , ne réussissent pas à troubler la sérénité de la scène : à peine la rehaussent-elle d’un zeste de piquant.
Les objets du Boire que nous avons découverts peu à peu - la gourde, la source pure (antithèse de la rivière souillée), la vigne, le lait dans la soupière – gravitent autour du sein de Marie :
tout ce qui dans le tableau produit du liquide est convoqué à sa têtée.
Les objets du Protéger – panier, citadelle, champ de blé, châtaignes, chapeau de paille, ruches – se résument dans son grand Manteau, qui la couvre et l’isole du roc et de la dureté du monde après la Chute.
Enfin, les objets du Porter - baluchon, marmite, animaux sacrifiés, pommes, âne, sac du semeur – nous font converger vers son Voile.
Aux deux poches du baluchon, enroulées autour du bâton, correspondent les deux parties du voile, qui unissent la mère et le fils dans un même enroulement.
De même que les Egyptiens portent en offrande à leur Baal un cygne (en haut) et un agneau (en bas),
le Voile porte en ostension la Mère (en haut) et le Fils (en bas), pendants virginaux du nouveau sacrifice.
A la recherche de notre leitmotiv, nous venons de remarquer que les trois objets du premier plan (baluchon, gourde, panier) entretiennent des correspondances fortes avec trois détails de l’arrière-plan (sac de semence, truie, rucher), comme si le promontoire sacré se projetait dans la clairière.
En recherchant tous les éléments qui se projettent de l’avant vers l’arrière, nous allons pouvoir préciser la signification de cette enclave dans la forêt et identifier, définitivement, ses habitants.
Le chasseur
Dans Ecosystèmes nous avions pressenti une similitude de rôle entre Joseph et le chasseur. Considérée spatialement, cette affinité devient évidente : le chasseur, à la lisière de la forêt côté droit, est le pendant de Joseph remontant vers le promontoire côté gauche. Dans le monde de la clairière, il joue le même rôle que Joseph dans celui du promontoire : à la fois protecteur et nourricier.
Le cheval de trait
Le cheval de trait est la projection de l’âne : tirant la charrue dans la terre, il est le pendant sédentaire de la monture des voyageurs, qui broute en toute liberté l’herbe verte.
La ferme et son colombier
La ferme est la maison-modèle, le Foyer Idéal. Sa position par rapport aux autres éléments ne laisse aucun doute : elle ne peut être que la projection de Marie. Nous retrouvons la métaphore classique de la « turris eburnea« , la tour d’ivoire.
Patinir a malicieusement détourné les connotations grivoises du colombier, pour en faire son exact contraire : le symbole de la Vierge-Mère.
L’idole et sa caricature
L’idole qui se dressait orgueilleusement sur la pierre, souillant la Terre de sa présence, se trouve peut-être ridiculisée dans la microscopique figure du chieur accroupi dans la glèbe.
La projection des rejetons
Traçons une ligne droite entre les ruches et la tige du bouillon-blanc, dont les fleurs jaunes sont connues pour leur odeur de miel. Cette ligne surplombe les porcelets, longe le bras du semeur qui jette les graines, traverse les petits oiseaux qui picorent, passe au point de jonction entre la joue de Jésus et le sein de Marie et coupe les trois châtaignes tombée dans l’herbe.
Ainsi une abeille de la ruche, en se dirigeant vers cette grande fleur cachée derrière la Vierge, réunira tous les rejetons du tableau. Comme si la présence mariale organisait et glorifiait l’enfantement, dans les trois règnes, végétal, animal et humain.
Patinir est un optimiste : au sein de son microcosme rêvé,
tous les petits du monde ont la même Mère et le même foyer.
L’enclave dans la forêt
Maintenant que nous avons découvert le véritable foyer du tableau, le colombier, nous pouvons affiner la composition en traçant précisément les lignes-frontière : deux lignes droites qui partent l’une vers la gauche, longeant le rempart de pierre, l’autre vers la droite, longeant le rempart végétal de la haie d’arbres et de la muraille des blés.
En haut à gauche, indiscutablement l’Egypte. En haut à droite, indiscutablement la Judée. Entre les deux, derrière le no man’s land du promontoire. le triangle de la clairière :
- administrativement et temporellement, elle se trouve côté Egypte : à gauche de la borne frontière (la sphère) et en automne ;
- mais culturellement, elle tire côté Judée, puisque les habitants de la clairière sont habillés en Flamands du XVIème siècle, comme ceux du village.
Qui sont donc exactement ces paysans et cet archer qui s’activent dans cette enclave, juste derrière la Sainte Famille ?
« Je lui tendais de quoi se nourrir »
Revenons aux paroles du prophète Osée, celles qui justifient l’épisode de la Fuite en Egypte :
« Quand Israël était jeune, je l’ai aimé, et d’Egypte j’ai appelé mon fils. Ceux qui les appelaient, ils s’en sont écartés: c’est aux Baals qu’ils ont sacrifié et c’est à des idoles taillées qu’ils ont brûlé des offrandes. C’est pourtant moi qui avais appris à marcher à Ephraïm, les prenant par les bras, mais ils n’ont pas reconnu que je prenais soin d’eux. Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour, j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson contre leur joue et je lui tendais de quoi se nourrir.« Osée 11,1
Il est frappant de voir combien les images que ce texte véhicule sont proches de la question centrale et l’univers symbolique du tableau : protéger et nourrir un enfant (Israël pour le Dieu d’Osée, Jésus pour la Marie de Patinir).
« Justes semailles, généreuses moissons »
Si Patinir a médité sur Osée pour nourrir son inspiration, il a également dû lire le passage qui précède immédiatement :
« Ephraïm était une génisse bien dressée qui aimait à fouler le grain. Lorsque je vins à passer devant la beauté de son cou, je mis Ephraïm à l’attelage – Juda est au labour et Jacob lui, à la herse. Faites-vous de justes semailles, vous récolterez de généreuses moissons ; défrichez-vous un champ nouveau ; c’est maintenant qu’il faut chercher le Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne répandre sur nous la justice. » Osée 10,11
Cette métaphore agricole du prophète ronchon signifie plus ou moins qu’Israël se laissait vivre, telle une belle vache accoutumée à un travail facile. Dieu, pour la régénérer, lui a fait subir le joug de l’esclavage (labourer et herser). Puis l’a récompensée par des rendements à l’hectare élevés.
Remplaçons la génisse par le cheval de trait, déplaçons Juda aux semailles plutôt qu’au labour et laissons Jacob à la herse : nous avons, avec la clairière, une illustration assez précise de ce « champ nouveau » vanté par le prophète.
Qui sont les habitants de l’enclave ? Ce sont des Juifs, puisqu’ils sont habillés comme en Judée. Mais ils vivent néanmoins en Egypte, de l’autre côté de la frontière. Cependant, ils ont cessé d’adorer le Baal, et préfèrent garder pour eux les fruits de leur agriculture.
Ces juifs sont déjà des chétiens en devenir : ils en sont aux « justes semailles« , mais le passage de la Sainte Famille déclenche déjà, derrière elle, les « généreuses moissons ».
Avec trois siècles d’avance, Patinir nous montre un monde imbibé d’esprit pionnier, nourri de références bibliques : la colonisation d’un Far West où les idoles païennes, tels les Apaches de leurs mesas, tombent toutes seules de leurs piédestal à l’approche de la cavalerie légère.