Par l'élève Moinet
Michel, Dan, Jimmy, Marc, Ric… Les jeunes gars du style rétro
Ce mois-ci : Michel Vaillant dans Le retour de Steve Warson, ou quand Steve devient un Hipster
Vous n’allez pas me croire, mais j’aurais aimé vivre dans un monde parfait. Dans un monde où tout aurait été possible et pas probable. Un monde où je serais tombé à chaque fois sur la rue de la Paix, sans même ramasser les 20 000. Un monde où je garderais mes illusions et le Coca light ses bulles. Un monde où elle ne m’aurait pas laissé tomber. Ma voiture à pédales rouge avec son pot d’échappement chromé. Un monde où Maxime Bossis aurait réussi son tir contre l’Allemagne en 82, et Kostadinov raté le sien en 94. Un monde où Morrissey aurait résisté au temps comme Oscar Wilde à la tentation. Ou plutôt le contraire. Un monde où toutes les chansons blues de Let it Bleed auraient été sur la même face et toutes les chansons rock sur l’autre. Mieux que les Beatles, le concept. Un monde où David Bowie n’aurait jamais repris Let’s spend the night together des Rolling Stones et aurait gardé All the young dudes à la place. Un monde où David Bowie n’aurait jamais sorti Pin ups, mais un EP 4 titres bien sixties. Collector assuré. Un monde où Lou Reed aurait été un peu moins et un peu plus. Un monde où les Sex Pistols n’auraient jamais sorti d’album. Que des 45 tours. Légende assurée. Où Love will tear us apart serait resté sur Closer. Le genre de chanson qui vous pose un album pour l’éternité. Un monde où Adolphus Claar aurait eu 48 pages et un dos toilé bleu ciel et Bob Fish Detectief un dos bleu marine et plein de mots belges en plus sur le tableau noir. Un monde où Tintin au Tibet aurait eu sa belle couverture blanche, toute blanche et Spalding, des pattes d’éléphant, du moins son pantalon, à l’aéroport de Djakarta. Un monde où Atlas, pas les déménageurs, mais les faiseurs de petites voitures en boite, n’auraient pas oublié Fantasio sur son vélo dans la boite de 203 de La mauvaise tête. C’est chaque fois sur Spirou que ça tombe ce genre de truc, c’est pas possible ! Un monde que Théodore Poussin aurait parcouru sans ces sempiternelles étiquettes de bagages consignées sur la couverture. Un monde où Le mystère de l’Atlantide aurait son début et L’homme au masque de cuir n’aurait pas sa fin. Un monde où Le retour de Steve Warson n’aurait pas le sien, ni la sienne. De début et de fin.
Revenons sur Terre. Prenez votre Le retour de Steve Warson, arrachez proprement mais fermement les 3 premières pages. Craaac. Faites-en de même pour les 7 dernières. Craaaaaaac. Si c’est un album de la collec du Lombard, le temps aura rendu cette opération plus aisée. A la poubelle ces 3 + 7 = 10 pages inutiles. Commencez votre livre à la deuxième case du troisième strip : un coureur surgit hors de la nuit et court vers l'aventure en courant. Barbu, chevelu, jean slim à revers, boots casuals, mais, mais… c’est un Hipster ?! Non, c’est Steve ! Steve Warson. Où court-il ? Chez Killywatch, rue Etienne-Marcel, pour s’acheter une chemise à carreaux ? Non. Steve, Steve Warson tente d’échapper à Pablo. Pour le coup, il aurait mieux fait d’emporter son pignon-fixe.
- Questions : dans quel album un autre personnage tente d’échapper à ses poursuivants sur des quais humides ? Et qui sont-ils ?
- La Marque Jaune bien sûr, et Scotland Yard bien entendu.
Et qui pour l’aider ? Personne, tintin ! Mais si, enfin, Michel ! Michel Vaillant qui monte de nuit sur le cargo, comme le fera Axel Bauer 20 ans plus tard, pour rechercher son copain (doublement) ravi.
- Question : dans quel album un héros monte-t-il sur un cargo pour rechercher son ami prisonnier ?
- Tintin sur le Pachacamac pour rechercher Tournesol bien sûr. Comment ça, personne ? Mais si, Tintin. Ah, Tintin !
Et quand, après avoir pris des pains dans la gueule, pour retrouver son copain perdu qui en a pris plein la tronche (de pain perdu) en guise de dessert, il est jeté par-dessus bord dans la Mer du Nord (brrrr), qui c’est qui vient le repêcher ? Réponse à la ligne…
Yves ! Yves Douléac, le minot de Marseille, monté à Amsterdam pour servir de maître-nageur-sauveteur à son champion de patron. C’est que ce n’est plus un "petit v", le petit. Fraîchement émoulu de l’école Vaillante, c’est un "grand v" maintenant. Comme maman Douléac doit être fière de lui. Dommage que l’auteur n’ait pas choisi de nous faire vivre les deux histoires en parallèle, de manière linéaire, avec suspens à la clef (à molette), plutôt que de nous la faire réciter par récitatif interposé par le jeune Provençal. Le charme du direct, on dira ce qu’on veut…
- Question : qu’auraient dû lui administrer ses ravisseurs pour être sûr qu’il coule à bien pic ?
- Du gaz o.x 2 z, comme dans Tintin en Amérique, bien sûr.
Repêché, repassé, séché, blanchi, il faudra encore à notre champion affronter le cynisme, le découragement, le désespoir et… la prévenance de son ami. Comment Michel se retrouve-t-il bordé, après s’être endormi sur son lit (planche 39), hein ?... N’en voulons pas à l’auteur. Son héros est dans de "beaux draps". Lui aussi. Cette histoire, c’est la nôtre, c’est la sienne. C’est son album le plus personnel, le plus noir. Celui qui n’a rien d’alimentaire (mon cher Warson). On ne peut s’empêcher de l’imaginer en repérages dans les parages, promenant son mal de dents sur le port d’Amsterdam, son carnet de croquis trempé à la main. S’essayant à la gnôle au Caïman bleu. "Allons, il le faut, c’est pour l’album". Luttant contre la fatigue et l’ennui pour hachurer méthodiquement le ciel batave. Réveillé par le bruit du port à l’Amstel-Hotel... Taraudé par son histoire… "Comment sortir mon héros de ce mauvais pas ?... Le FBI, encore ? Pourquoi pas la gendarmerie nationale tant qu’on y est !... Pourquoi pas une femme ? Oui, une femme, douce et solide dans ce monde de brutes… Tiens, ça me rappelle ma cheftaine avec ses gants et ses socquettes blanches… Hubertine !" Que mes collègues, mais néanmoins amis, me pardonnent de parler en leur nom après celui de l’auteur, mais Hubertine est la femme modèle que nous aurions tous aimé connaître. Simple, réservée, efficace, cette Miss Marple de choc résout à elle seule la fin de l’histoire. En plus, elle a le bon goût de donner rendez-vous à Michel devant "La ronde de nuit" de Rembrandt, lui qui sort à peine de la "Route de nuit". Scène hitchcockienne, digne de La mort aux trousses, s’il en est. Il y a du Eve Kendall dans Hubertine. Hubertine ? Une femme, une vraie. D’ailleurs Steve ne s’y trompe pas. Ses adieux à sa sauveteuse sont bouleversants. Champion au grand cœur.
- Question : à quels sympathiques héros nous font penser Yves, Hubertine et Michel réunis devant une toile de maître dans un musée d4amsterdam ?
- A Bob et Bobette et Monsieur Lambique devant une toile de Pierre Brueghel l'Ancien, dans un musée d'Anvers, au début du Fantôme espagnol bien sûr.
Voilà. A l’attention des plus pressés et des plus influençables d’entre-nous, nous allons vous proposer un résumé et un conseil.
Le résumé, le voilà : Michel et Steve, qui s’est fait pincer, tombent à l’eau. Qui reste-t-il ? Les deux bien sûr.
Le conseil, le voilà : et si vous rappeliez aujourd’hui, maintenant, là tout de suite, un vieux copain oublié ? Retenu par des forces maléfiques (en clair, sa bonne femme), comme Steve a rappelé Michel du Caïman bleu ? Allez, faites le premier pas. Donnez-lui rendez-vous, passez un moment vraiment marrant dans un endroit vraiment sympa, à vous rappeler le bon vieux temps. Sortez dans la rue, regardez le soleil qui brille, prenez votre ami par l’épaule, comme Michel et Steve à la fin de l’histoire.
- Et si on allait chez moi ?
- Et pourquoi faire ?
- Pour relire un bon Michel Vaillant.
- Oui, si tu veux.
- Allez, viens.
Intensité dramatique : *****
Valeurs familiales : *
Valeurs sentimentales : ****
Données historiques : **
Valeurs morales : ***
L'élève Moinet au début de sa résistible ascension