La terre entière est une boule de présence, sa courbe la réfléchit, la rayonne avec douceur, d'un influx inaperçu : miroir, peau frémissante, voile tremblant d’une présence plus secrète, le jour en donne l'éclat et la nuit sa profondeur. Je vis, mais je prends si peu conscience de l'immensité qui palpite, en ses moindres détails, comme la plus petite branche de l’arbre élancé au bout du chemin, l'herbe menue à mes pieds, la fleur naïve des talus, en sa démesure aussi, avec le bleu, le vertige de l’étendue, le picotement des étoiles.
Il me suffit, un court instant, d'être seulement plus attentif à cette présence, comme en un pas suspendu, pour entrer en contact avec une présence plus grande et plus troublante. Le monde visible, ce coin d'univers où nous respirons sans le savoir, où nous recueillons la lumière sans nous émouvoir, recèle comme un souffle, un battement, comme si Dieu lui-même ne cessait de lui être présent, comme si toute la vie qui l’anime n’aspirait qu’à communiquer cette présence.
Il vient, nous dit l’Apocalypse, parlant du Vivant, du Ressuscité, le Premier et le Dernier. Et en effet il ne cesse de venir, d’advenir, il est là, il vient, il s’approche, tout l’air est son haleine, la masse des arbres son épaisseur, l’océan son emprise, quand roule la vague, courant d’une main incertaine qui disparaît sous les sables.
Chaque heure est la sienne, gorgée de l’éternité qui fait le temps, chaque jour est son imminence, chaque instant, chaque seconde porte une plénitude dont le cœur seul connaît la portée. L’espace même, dès que nous en prenons la mesure, dès que notre conscience comme une aile le recouvre, le devient pour ainsi dire, semble s'animer. L’air, qui n'est pas un vide, se fait conducteur, la distance, rayonnement, lien, murmure. Ma présence au monde rejoint la présence de Dieu à chaque vivant, à travers cette existence, cette miraculeuse instance d’un équilibre toujours périlleux, de présence à présence, de cœur à cœur, de cet envers des apparences à cet envers que je suis en mon esprit.
Le silence, comme les anges, passe les murailles, il loge au-dehors comme le silence, comme les anges, passe les murailles, il loge au-dehors comme au-dedans, il voyage, se déplace sans bruit, dans l'espace qui est au-dedans comme au-dehors. Cet infini sans bords ni rêves, sans heures ni rives, que je perçois à travers le ciel qui s'étire, ne fait qu’ouvrir cet infini d’intensité que je sens se ramasser en un foyer, un point vibrant au plus loin de moi-même. Comme en miroir, ils se répondent, et c’est ce dialogue vivant, secret, qui fait le monde.
L’éternité colore la paix de cet instant qui en dessine la trame, les contours vagues, la forme à venir. Elle porte en elle, comme un enfant, comme dans les peintures anciennes les détails finement ciselés de la Jérusalem céleste, ce clair vallon que j’aperçois au loin, à l’écart de tout, et qui affirme d'une voix claironnante l'unique actualité de la présence.
Non, l’éternité n’est pas si loin. Elle épouse les rondeurs de cette plénitude, sa brillante transparence. Le monde ne lui est pas étranger. Depuis l’origine, il a sa place en elle. Il nous la transmet, par gouttes infimes. Et le regard que je pose aujourd'hui sur lui, dans la clarté d'un rayon, a déjà tout de l'éternel, bien plus que le ruissellement de l'astre d'en haut, non seulement la lumière qui éclaire, mais celle qui tremble, celle qui traverse toutes choses, la matière comme la chair.
Philippe Mac Leod
(source La Vie)