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Georges Moustaki, le temps du mépris.

Publié le 25 mai 2013 par Bernard Deson

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« Georges Moustaki est mort, et alors ? » Oui, je vous l’accorde cette épitaphe n’est pas très chrétienne. Il est de tradition d’effacer les offenses, d’accorder aux défunts le bénéfice du doute même s’il n’en subsiste aucun. Pour ma part, je considère qu’il serait immoral que le simple fait de trépasser fasse bénéficier d’une impunité totale pour les crimes passés (même et surtout ceux de lèse-majesté). En coulisses, Moustaki n’avait rien du musicien chaleureux, du rebelle élégant qu’il « jouait » en public. Si beaucoup de gens l’aidèrent à ses débuts (Brassens un peu et Piaf beaucoup), il n’a jamais ressenti le besoin de faire de même avec les jeunes talents qui frappaient à sa porte. Il faudra attendre 2010 pour que l’un de ses fans inconditionnels lui arrache le parrainage d’un prix destiné aux artistes autoproduits. Cela sera le seul et unique mouvement philanthropique de l’existence confortable de ce trotskyste convaincu assujetti à l’impôt sur la fortune.

D’où me vient une telle aigreur ?  Suis-je un auteur-compositeur qu’il aurait refoulé sans ménagement ? Oui et non. Je vous laisserai juge d’apprécier après avoir lu le récit d’une rencontre fortuite avec l’auteur de « Si je pouvais t’aider ».


Les tournées de Georges Moustaki s’arrêtaient souvent à Bergerac. Début mars 2002, Olivier Czuba frappe à ma porte à l’heure du café et m’annonce tout de go : « Le régisseur du Centre culturel est d’accord pour nous faire rencontrer Moustaki après son spectacle ! »   Il se trouve qu’Olivier venait de réaliser un travail plutôt intéressant sur « le Quotidien », chanson peu connue du petit Georges. Il avait gardé les paroles et changé la musique pour un résultat des plus plaisants. J’avais même eu le projet de rajouter cette version iconoclaste à ma comédie musicale « Les Fantômes des coulisses » si j’arrivais à obtenir l’accord de son légitime propriétaire. Ainsi, le jour J après  la représentation, nous nous glissâmes furtivement dans les loges pour nous retrouver mêlés à… une réunion de famille. Car nous l’ignorions alors, le seul motif qui retînt Moustaki quelques minutes supplémentaires après l’extinction des feux de la rampe était ces retrouvailles avec des cousins de sa femme. Dans le cas où nous n’aurions pas pu lui parler, j’avais préparé une lettre  pour accompagner le cd où était gravée la version d’Olivier.

« Cher Georges Moustaki, nous vous faisons parvenir cette maquette d’un disque sur lequel nous travaillons depuis plusieurs mois. Les Fantômes des coulisses sont le prolongement d’un numéro de notre revue consacré à Georges Brassens. Il s’agissait de proposer une « lecture musicale » de plusieurs textes de Georges Brassens restés sans musique à sa mort. D’autres morceaux sont venus spontanément se rajouter à cette première liste, créations totales ou reprises. Olivier Czuba a revisité à sa manière l’une de vos chansons « Le Quotidien ». Il y a un peu d’impertinence à oser mettre une musique différente sur une chanson déjà existante. Mais parfois un texte accroche un thème musical qui passait par là et celui-ci devient inévitable. S’agissant d’un simple projet, nous n’envisageons pas, bien entendu, de nous passer de votre accord pour aller plus loin en ce qui concerne cette nouvelle version de votre chanson. Nous aurons le plaisir de vous écouter aujourd’hui et je l’espère de vous rencontrer après le spectacle pour vous remettre cette maquette.   Nous pourrions ensuite, si votre emploi du temps vous le permet et si vous le jugez utile, nous rencontrer à Paris courant avril. Avec toute notre admiration. »

Les choses se passèrent pour le mieux,  au début en tout cas. Je suppose qu’il nous prit pour des parents de sa femme car il nous écouta avec attention promettant de nous répondre rapidement. Je vis qu’il avait remis l’enveloppe à la femme qui l’accompagnait en lui murmurant quelques mots.  Après un dernier salut, il se dirigea vers le véhicule qui l’attendait sur le parking derrière le théâtre tandis que son assistante, trouvant enfin une poubelle, s’empressa d’y jeter lettre et cd sans même prendre la précaution de le faire hors de notre vue. Nous avons donc assisté en direct à un enterrement de première classe. Certes, il faut être naïfs pour croire que nos chères célébrités s’intéressent à autre chose qu'à leurs propres créations. Mais il y avait tant de mépris dans cette fin de non recevoir que depuis ce triste jour je n’ai plus jamais écouté une chanson de Moustaki dont je possède pourtant les œuvres complètes. A noter que le numéro d’Orage-Lagune-Express consacré à Brassens (et le cd qui l’accompagne) reste la meilleure vente de notre maison d’édition. Non, c’est une blessure plus profonde, celle d’avoir cru qu’il suffisait d’écrire de beaux textes et de belles musiques pour qu’un homme soit doté d’une belle âme. Alors quand je lis l’avant-propos du même Moustaki destiné aux participants du prix portant son nom, je frémis d’indignation : « Ce Prix Georges-Moustaki me fait honneur par la qualité des artistes qui ont présenté leur candidature et par sa vocation de récompenser un album autoproduit ; c’est-à-dire réalisé en toute liberté et en toute indépendance. Je remercie tous ceux qui ont rendu cette aventure possible et le public qui participe à cette célébration. Je suis en phase avec les deux jeunes gens qui s’en occupent. J’avais quelques réticences à m’embringuer là-dedans, mais ils sont terriblement sympathiques, et ils savent ce qu’ils font. Ce sont des gens que j’estime beaucoup. J’ai eu envie de les suivre. Je vois ce qu’ils font tout au long de l’année. On est dans la même cour. »  Mais en 2010 Georges Moustaki était déjà malade et n’ignorait pas l’issue fatale qui l’attendait. Un peu tard pour changer mais bon,  accordons-lui le bénéfice du doute.

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