Il se nomme Jean Denizot et il s’agit là de son premier long métrage. Je ne sais pas quel en est le succès en salle, mais je sais que l'auteur s’interroge sur l’avenir de son métier et sur son propre avenir. « Moi, j'ai un petit garçon, un crédit sur le dos, une femme qui gagne mal sa vie. En juin, je ne sais pas ce que je gagnerai comme argent, forcément ça inquiète... Et c'est ça le cinéma d'auteur français : des gens qui ont fait deux ou trois films et qui ne peuvent pas payer leur loyer. Mais c'est quand même le plus beau métier du monde...! »
Ce n’est pas forcément la déclaration que l’on attend d’un cinéaste qui, forcément, doit avoir une vie agréable, voire princière. Mais c’est sur ce terrain-là que Telerama a voulu l’emmener. Le soir où il est venu à Strasbourg, un premier avril, il était content que ce ne soit pas une farce, mais qu’un vrai public lui déclare qu’il l’aimait et qu’il avait été ému par son film.
Malheureusement, les références qu’il met en avant l’écrasent un peu : « A bout de course de Sidney Lumet a constitué un fil rouge pour le réalisateur, qui voulait faire de son premier film un road movie centré sur une ultime cavale » affirme allociné.
Ce n’est pourtant pas dans la fuite, mais dans l’installation, dans le lent déroulement et dans l’écoulement des heures que le film prend son sens. Que ce soient les Pyrénées ou la Loire, l’importance des lumières dans le couchant, des rides d’un fleuve, de la vie frustre dans un chalet ou dans un bateau de pêcheur, la réussite de ce film comme sans doute de tous les films qui vivent dans le grand large ou dans l’exode, tient à la capture avec justesse d’un moment qui peut devenir éternel.
Ces personnages vivent et se déplacent au paradis et le paradis, si je me souviens bien, est en effet éternel...jusqu’à ce que quelqu’un transgresse les règles de l’éternité. Et ici elles sont transgressées par trois fois.
En bref, ce film nous parle de la vie d’un père et de ses deux fils en cavale – en cavale longue : dix années – pour tenter d’échapper à la décision d’un juge qui en a confié la garde à leur mère.
Ce n’est pas un film militant ! Il ne défend rien, même si Jean-Jacques Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre ne sont pas loin. Ou alors il propose une thèse toute simple, presque évidente qui tient à une illustration de la recherche du bonheur et de l’équilibre. Est militant, peut-être, celui qui conte une fable sur la vie débarrassée de ses consommations superflues.
Première transgression : l’aîné veut s’amuser, aller danser avec les filles ; c’est de son âge et il se bat avec ceux qui ont une vie légitime et qui tiennent les filles du sérail comme légitimement les leurs. Il faut fuir et tout laisser derrière. L’aîné s’en va retrouver ce qu’il nomme la vraie vie ; celle où il sera le maître de son esclavage.
« Nous naissons sensibles, et, dès notre naissance, nous sommes affectés de diverses manières par les objets qui nous environnent. Sitôt que nous avons pour ainsi dire la conscience de nos sensations, nous sommes disposés à rechercher ou à fuir les objets qui les produisent, d'abord, selon qu'elles nous sont agréables ou déplaisantes, puis, selon la convenance ou disconvenance que nous trouvons entre nous et ces objets, et enfin, selon les jugements que nous en portons sur l'idée de bonheur ou de perfection que la raison nous donne. »
Deuxième transgression : le cadet accepte l’amour physique dans ce qu’il a de plus beau, de plus gratuit, rejouant Paul et Virginie au bord de l’eau, mais il doit cependant choisir entre l'amante et le père. Il choisit celui qui lui a donné le respect de la vie et retourne vers lui, mais dans sa tête, la frontière est franchie.
« Mon fils, ces masures et ce terrain inculte étoient habités, il y a environ vingt ans, par deux familles qui y avoient trouvé le bonheur. Leur histoire est touchante, mais dans cette île, située sur la route des Indes, quel Européen peut s’intéresser au sort de quelques particuliers obscurs ? »
Troisième transgression : revoir la mère et accepter de dire bonjour à celle qui a reconstruit une autre famille.
« De ces contradictions naît celle que nous éprouvons sans cesse en nous-même. Entraînés par la nature et par les hommes dans des routes contraires, forcés de nous partager entre ces diverses impulsions, nous en suivons une composée qui ne nous mène ni à l'un ni à l'autre but. Ainsi combattus et flottants durant tout le cours de notre vie, nous la terminons sans avoir pu nous accorder avec nous, et sans avoir été bons ni pour nous ni pour les autres. »
La cavale se ferme ainsi, le film se termine sur une question ouverte. La vie est une suite de questions quotidiennes. Et les cinéastes regardent de près la vie des particuliers obscurs qui s’agitent dans une nature qui sera encore là bien après eux.
La belle vie de Jean Denizot. 2013. Avec Zacharie Chasseriaud, Solène Rigot, Nicolas Bouchaud et Jules Pelissier.