Tandis qu'il s'apprête à jouer en solo de son violon, pour les soldats des tranchées, Eugène Ysaÿe s'adresse à eux en ces mots:
" Amis soldats, beaucoup d'entre vous se posent la question de savoir ce que je vais jouer et je lis quelque inquiétude sur leur visage. Ils craignent ce qu'il leur apparaît comme une sorte d'épouvantail: la musique classique, qu'ils voudraient peut-être comprendre mais qui leur semble un langage indéchiffrable et de toute manière insupportable à leurs oreilles. [...] Que chacun se rassure. Ce que j'interpréterai , c'est tout simplement la musique sans adjectif. Vous, dont les fibres de la sensibilité se sont développées au contact quasi quotidien de la mort, je me demande pourquoi vous seriez incapables de vibrer au contact de la beauté.[...] Pénétrez-vous de cette pensée: la musique ne se comprend pas, elle se sent. ...] N'est-elle pas l'espoir suprême de la grande réconciliation universelle qui empêchera le retour des horreurs que vous supportez? Aussi, je veux jouer pour vous ce qui est beau, parce que je vous respecte et je vous aime"
Extrait de 1914-1918 Musiciens des tranchées, Dominique Huybrechts, essai, Ed. Scaldis 1999, 2e édition revisée, Racine, 2014, 286 pp, 22.95 €