Après quatre années d'absence, l'« enfant terrible du Pacifique » devrait faire son retour. L'Organisation météorologique mondiale (OMM) a rendu public, mardi 15 avril, un bulletin prévisionnel estimant « probable » le réveil d'El Niño vers juin.
Fameux et redouté, ce phénomène naturel, qui survient tous les trois à sept ans, est caractérisé par un fort réchauffement des eaux de surface du centre-est du Pacifique équatorial. Il s'accompagne de perturbations météorologiques de grande ampleur un peu partout dans le monde, souvent associées à d'importants dégâts ainsi qu'à une envolée des cours de certaines denrées agricoles. Son nom (« l'enfant », en espagnol) lui vient des pêcheurs équatoriens et péruviens, qui le nommèrent ainsi en référence à l'enfant Jésus – le phénomène touchant souvent son paroxysme autour de Noël.« Les températures de sub-surface atteignent, dans le Pacifique tropical, des niveaux similaires à ceux qui annoncent un épisode El Niño, et les modèles climatiques considérés par les experts de l'OMM y prévoient un réchauffement constant dans les mois à venir, explique l'organisation onusienne dans son bulletin. Selon la majorité des modèles, une anomalie El Niño pourrait survenirvers le milieu de l'année, mais il est encore trop tôt pour en établir l'intensité. »Quelques-uns des modèles numériques examinés par l'OMM prévoient même un réveil du « garnement » dès le mois de mai.MOUVEMENTS SPÉCULATIFSLa prévision est aussi difficile que le phénomène lui-même et sa genèse sont complexes. Détecté par une augmentation de la température du Pacifique équatorial, il résulte en réalité d'une interaction subtile entre l'océan et l'atmosphère : affaiblissement des alizés soufflant sur le Pacifique, accumulation d'eaux chaudes au large des côtes péruviennes où le niveau marin s'affaisse, élévation de la mer le long des côtes australiennes, etc.Depuis plusieurs semaines, différents centres de recherche publient les résultats de leurs simulations, entraînant des débuts de mouvements spéculatifs sur certaines matières premières agricoles : cacao, café, canne à sucre, huile de palme… Toute la production primaire de la zone tropicale, et parfois au-delà, est potentiellement affectée. Dans le sillage du Niño, explique en effet Matthieu Lengaigne, chercheur à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et auteur de plusieurs travaux sur le phénomène, « c'est toute la circulation atmosphérique qui change ». Et, avec elle, les précipitations et les températures locales : chaleur et régimes de pluie accrus, inondations et glissements de terrain sont plus fréquents sur la façade pacifique de l'Amérique du Sud, tandis que la sécheresse sévit en Australie et, dans une moindre mesure, en Asie du Sud. « EnInde, le phénomène El Niño réduit généralement l'abondance des pluies de mousson », ajoute M. Lengaigne.L'une des conséquences les plus spectaculaires est l'effet produit sur les pêcheries du Pacifique oriental, au large de l'Equateur, du Pérou et du Chili. L'accumulation d'eaux chaudes le long de ces côtes entrave en effet la remontée en surface des eaux profondes, très riches en nutriments. Ainsi appauvries, les eaux de surface ne permettent plus au plancton de prospérer, d'où l'effondrement des stocks de sardines et d'anchois – l'une des premières sources de nourriture des poissons d'élevage. Cependant, les répercussions du Niño ne sont pas toujours, et partout, négatives. L'enfant terrible du Pacifique agit à grande distance et réduit, par exemple, la probabilité que se forment des cyclones dans l'Atlantique.Quelle sera l'intensité du prochain Niño ? Jusqu'à présent, le plus fort jamais enregistré, le « Niño du siècle », est celui qui s'est déclenché en 1997 pour sepoursuivre en 1998. « La situation actuelle ressemble beaucoup à celle observée en 1997, dit M. Lengaigne. A mon sens, la probabilité est forte que le phénomène àvenir soit très intense. »RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUELes liens entre le réchauffement climatique en cours et le phénomène El Niño sont au centre de nombreux travaux scientifiques. Une étude récente, conduite par M. Lengaigne et publiée dans Nature Climate Change, suggère que les épisodes les plus intenses seront deux fois plus fréquents dans le siècle en cours, du fait du changement climatique. Ce point demeure discuté.Une chose, cependant, est sûre : le « garnement » du Pacifique fait grimper le thermomètre mondial. « El Niño a un effet de réchauffement important sur la moyenne mondiale des températures, déclare Michel Jarraud, le secrétaire général de l'OMM. Seules deux des quinze dernières années ont été marquées par El Niño et pourtant, elles ont toutes été plus chaudes que la moyenne. Le réchauffement naturel occasionné par un épisode El Niño, associé au réchauffement d'origine humaine, peut entraîner une augmentation spectaculaire de la moyenne mondiale des températures. »
Stéphane Foucart
Journaliste au Monde, chargé des sciences de l'environnement