Une composante de la morale laïque et citoyenne : le dialogue des cultures
Martine Boudet
http://blogs.attac.org/commission-enseignement-recherche/article/une-composante-de-la-morale-laique
L’une des raisons de la violence à l’Ecole réside dans les discriminations dont certains publics peuvent faire l’objet sous une forme ou une autre. Pour remédier à ce double problème, la loi sur la Refondation préconise notamment un enseignement de morale laïque et citoyenne. Dans cette perspective, l’éducation à la diversité apparaît comme l’un des paramètres émancipateurs à promouvoir.
Comme préconisé par l’UNESCO et le Conseil de l’Europe,il permet en effet, par une mise en situation interculturelle, d’éviter l’écueil de l’universalisme abstrait. Au-delà d’un enseignement, il s’agit d’éduquer à une authentique citoyenneté de l’altérité.
1- Un programme plus inclusif mais encore décontextualisé et peu dialogique
L’objectif du rapport rendu au ministère est de réinstaurer une morale commune et fédératrice, de manière à construire « une école inclusive en guerre contre toutes les discriminations. » (Bergougnioux, 2013, p 7). Cette démarche nécessite de dépasser les termes d’une morale « minimale » (axée sur le seul respect des lois civiques, facteurs d’une contrainte extérieure) et « négative », celle-ci étant invoquée pour la résolution des conflits et des situations de crise. Les valeurs à transmettre « la dignité, la liberté, l’égalité, la solidarité, la laïcité, l’esprit de justice, le respect et l’absence de toutes formes de discriminations » (p 28), qui émanent de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doivent inspirer des comportements constructifs.
La Charte de la laïcité à l’Ecole, adoptée à la rentrée 2013, rappelle utilement que la laïcité est le garant de la liberté de conscience, dans une Ecole neutre et respectueuse de toutes les convictions, notamment religieuses. Elle doit être un rempart à l’égard de dérives prosélytes, communautaristes ou laïcistes :
"La laïcité introduit (...) une hiérarchisation des valeurs, puisqu’elle conduit à placer le bien commun, l’égalité des droits et le respect de la personne au-dessus des coutumes et des traditions de quelque nature qu’elles soient (…) L’enseignement de la morale laïque doit veiller à ne blesser aucune conscience tout en transmettant des valeurs communes à tous les enfants, quelles que soient par ailleurs leurs croyances religieuses". (Peillon, 2013)
Des oublis étonnants sont cependant à signaler dans le rapport Bergougnioux, avec l’absence des problématiques environnementale1, médiatique, (inter)culturelle, spirituelle. Cette conception de la morale revendique l’héritage de la philosophie des Lumières et de la laïcité ; le ministre Vincent Peillon est un spécialiste de Ferdinand Buisson et des penseurs républicains du 19e siècle, pères fondateurs de l’Ecole. Cet héritage légitime en soi en reste à des formes d’universalisme abstrait ; il serait bienvenu de prendre aussi en compte des phénomènes contextuels et médiatisés de construction sociétale et juvénile, et de reconnaissance institutionnelle de ces évolutions.
2-Etat des lieux : phénomènes d’interculturalité
Les pouvoirs publics ont engagé en 2008 un débat sur l’identité nationale dont l’objectif était de remobiliser les Français- et en particulier les jeunes-, pour la promotion du patrimoine national. Ce nationalisme culturel étroitement défensif réagit au déclin d’un cycle d’assimilation à la française, d’acculturation par le français, langue de la littérature, de la philosophie, de la diplomatie. La mondialisation s’organise sous le sceau d’une culture majoritairement anglophone, qui peut être source de déculturation. Quant aux publics scolaires, à la différence de nos générations, ils sont immergés par les medias et sur les bancs de l’Ecole dans une société multiculturelle ; ils mettent en œuvre des stratégies fraternitaires, ancrées dans des modes spécifiques d’expression culturelle : musiques du monde, poésie chantée, cinéma international…Dans le domaine de la création littéraire, des signes d’ouverture se manifestent aussi régulièrement : hommage rendu par la République en 2008 au poète martiniquais Aimé Césaire, attribution du prix Nobel de littérature en 2009 à l’œuvre cosmopolite de Jean-Marie Le Clézio, du prix Goncourt 2009 à l’écrivaine métisse Marie Ndiaye, pour son roman Trois femmes puissantes…
Le film Entre les murs (Cantet, 2008), subventionné par l’Acsé et récompensé au festival de Cannes, pose des questions pertinentes, concernant les relations à cultiver entre individualité (à l’occidentale) et collectivité (propre aux cultures du Sud), entre laïcité à la française et patrimoines religieux en particulier musulman, entre parité et sexo-séparatisme, entre moi et altérité, entre hétérosexualité et homosexualité… A propos d’un autre film-culte, La journée de la jupe (Lilienfeld, 2009), son caractère dramatique résulte du dialogue de sourds entre élèves et professeure, de la difficulté à adapter les humanités à enseigner à des publics très hétérogènes culturellement. D’où le cruel sentiment d’échec professionnel expérimenté à ce propos.
3- L’interculturel un paramètre fédérateur dans le contexte de la mondialisation et de la société des medias
En fait, la transmission des valeurs républicaines et du patrimoine national doit être conjuguée à une démarche d’ouverture aux autres cultures, condition d’une dynamique salutaire et de leur pérennisation. Ainsi, l’adaptation de l’Ecole à la mondialisation et à la société des medias nécessite d’apporter des réponses aux questionnements d’ordre anthropologique des publics : concernant les relations à entretenir entre pays de l’Union européenne, du nord et du sud, avec l’Islam, la chrétienté et la laïcité, avec la francophonie, l’anglophonie et la culture people, entre les cultures de genre, entre les générations…(Abdallah-Pretceille, 2004). La démarche interculturelle contribue, ce faisant, à réguler des violences internes à certaines communautés, notamment concernant le déni des droits publics à octroyer aux filles et aux femmes.
Quant à son intérêt pour les publics natifs, elle réside dans la résistance à la déculturation, également source de mal-être, de dépendances et de violences. Face à la déferlante des marchés et des médias, seuls les patrimoines civilisationnels, ancrés dans des langues-cultures, des religions et sur des territoires, sont en capacité de sauvegarder et d’adapter les repères et valeurs constitutifs d’une société. Dans cette optique, la démarche de laïcité ouverte préconisée par le rapport de Régis Debray (2002) consiste à intégrer les faits cultuels comme des faits de culture à vocation universelle. L’Ile de la Réunion présente un exemple réussi de cohabitation inter-religieuse, à la base d’un dialogue précurseur dans ce domaine. La pédagogie de la décentralisation territoriale4 permet aux publics de construire des repères de proximité et des liens concrets avec l’environnement et l’entourage socio-culturel immédiat. Les déclinaisons de l’éducation à l’interculturel sont en fait multiples : dialogue avec les langues-cultures des régions historiques et des DOM-TOM, protégées par les Conseils régionaux depuis la loi de décentralisation de 1982, éducation à la parité et au développement durable, à une francophonie des peuples et de progrès, à une authentique coopération européenne et Nord-Sud ainsi qu’à la solidarité internationale …
4 Etat/Ecole/citoyenneté : une modélisation émergente
L’Etat a commencé à formaliser les évolutions sociétales, par l’adoption des principes juridiques de la parité homme-femme et de la diversité culturelle. La parité de genre instituée en 2001 et la diversité culturelle, reconnue comme principe républicain suite aux émeutes de jeunes des banlieues en 2005, sont autant d’acquis institutionnels récents. Ces préceptes requièrent, pour leur stabilisation au niveau des mentalités et des comportements, le concours de l’Ecole et de l’Université, « matrices de citoyenneté et de démocratie ».
4.1 L’éducation à l’égalité entre les sexes
Le rapport Bergougnioux insiste sur l’intérêt de traiter la question de l’égalité entre filles et garçons. D’une manière générale, les pouvoirs publics se sont fortement investis dans ce domaine, au travers du ministère des droits des femmes. Il s’agit d’actualiser les objectifs de la convention interministérielle « pour l’égalité entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes, dans le système éducatif » qui datait de 2007. Le constat est celui du maintien d’une stéréotypie inégalitaire voire discriminatoire, de représentations sexistes qui freinent les évolutions, d’où la nécessité d’éduquer à une culture sociétale paritaire. Une nouvelle convention interministérielle, adoptée entres autres par le ministère de l’Education nationale, est articulée autour de trois chantiers prioritaires qui sont déclinés dès 2013 :
« 1. Acquérir et transmettre une culture de l’égalité entre les sexes
2. Renforcer l’éducation au respect mutuel et à l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes
3. S’engager pour une plus grande mixité des filières de formation et à tous les niveaux d’étude » (Comité interministériel aux droits des femmes, 2013)
Ce système de références a bien sûr vocation à intégrer le futur programme d’enseignement de la morale laïque et citoyenne.
4.2 L’éducation à la diversité culturelle
De même que l’éducation à l’égalité de genre, l’éducation à la diversité culturelle mérite d’être amplifiée. Dans un contexte de crise systémique, la France n’échappe pas à la montée de courants xénophobes, qui se cristallisent sur le statut des migrants voire même des immigrés de longue date, souvent citoyens français par ailleurs. Les difficultés d’intégration pour motifs culturels sont instrumentalisées, les pouvoirs publics répondant surtout sur le terrain des droits juridiques et économiques. L’Ecole a vocation, singulièrement dans cette période de Refondation, à cultiver des exemples de réussite dans son domaine d’intégration qui est celui du culturel.
Un point d’appui est la signature en 2005 à Paris de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. « Elle est devenue une étape majeure dans le renforcement d’une dynamique ancienne de reconnaissance des spécificités sociales, linguistiques et culturelles. Dans sa démarche, l’agence des Nations Unies est fidèle à sa vocation première. À savoir : promouvoir « la féconde diversité des cultures » et « faciliter la libre circulation des idées, par le mot et par l’image » comme stipulé dans son Acte constitutif de 1946. Faisant suite à la Déclaration universelle de 2001 sur le même objet, la Convention ne prend en compte que le domaine relevant de l’article 8 de celle-ci : « les biens et services culturels, des marchandises pas comme les autres » (Mathien, 2013).
Autre repère institutionnel, la publication en 2007 par le Conseil de l’Europe d’un Livre blanc sur le dialogue interculturel. Est significative l’évolution du constat et du respect des différences à la praxis d’un dialogue entre les groupes porteurs de ces différences culturelles. Cette démarche permet de cultiver la multiperspectivité, base d’une pensée complexe et au-delà transculturelle :
« Le dialogue interculturel n’est pas une expression du relativisme culturel, pas plus qu’il n’y conduit. Le dialogue doit se fonder sur des valeurs d’universalité et d’indivisibilité des droits de l’homme, de la démocratie et de la primauté du droit. Le Conseil de l’Europe rejette l’idée d’un conflit des civilisations et affirme qu’une participation accrue à la coopération culturelle – au sens large du terme – et au dialogue interculturel contribuera au contraire à la paix et la stabilité internationales à long terme. »
Aujourd’hui, le concept interculturel a gagné du terrain au sein des ONG, des medias et entreprises : le concept de chartes de la diversité en entreprise date de 2004. Est à signaler également la création du statut de préfet de la diversité, qui parachève cette construction au sommet de la hiérarchie républicaine6. Le rapport sur « la refondation de la politique d’intégration » (2013), rédigé par plus de deux cents chercheurs et responsables institutionnels et associatifs, met l’accent sur ce concept fédérateur :
« L’enjeu est de former les professionnels dans les différentes disciplines et selon leurs modalités de formation spécifique tant sur le plan de la formation initiale que continue autour de trois domaines clés :
L’histoire de l’immigration, de l’esclavage et de la traite négrière, histoire des colonisations,
L’interculturalité et la « rencontre interculturelle » conçues comme un échange entre personnes ou groupes de personnes de différentes cultures (sociale, ethnique, générationnelle, professionnelle, institutionnelle…) qui permet l’émergence d’un espace de négociation.
Le fait religieux et la laïcité. »
Le 40e anniversaire de la revue Diversité (CNDP-SCEREN), -dont les champs d’étude sont la ville, l’Ecole et l’intégration- vient aussi à point nommé pour un bilan et une prospective dans le domaine de la recherche en éducation.
4.3-Diversité et interculturel dans les programmes disciplinaires
L’enseignement du français et des lettres
A l’occasion de la réforme en lycée (2000), l’introduction en français de l’enseignement des littératures francophone et européenne était une avancée notable. Cette démarche s’inspire de précédents réussis, l’enseignement de l’espagnol intègre par exemple de larges pans de littérature et cultures latino-américaines. Il reste, pour sa réalisation, à rédiger des documents d’accompagnement :
« La progression au long des deux années se fonde sur deux principes.
L’un est qu’en seconde, il convient de construire avec les élèves la notion de mouvement littéraire qui est nouvelle pour eux ; en première, il convient de l’élargir à celle de mouvement – et dans certains cas de phénomène – littéraire et culturel.
L’autre est que les domaines envisagés sont le domaine français et francophone essentiellement en seconde et, en première, le domaine français dans ses relations avec des phénomènes internationaux, en particulier européens (…)
Il est bon que les élèves prennent conscience des dimensions nationales de cette histoire, mais aussi de ses dimensions internationales. Ainsi pourront-ils la saisir dans sa complexité plus grande en première, par une initiation à la question des relations et influences entre cultures.
(…) Puisque le programme a retenu le principe de privilégier en seconde le domaine français et francophone, et en première de donner des ouvertures sur la dimension européenne et internationale, il s’agit d’aborder les mouvements qui constituent des scansions majeures de l’histoire en l’un et l’autre domaines. (…) Le rôle de l’histoire littéraire est, en premier lieu, de donner les éléments de contextualisation nécessaires à la compréhension des oeuvres étudiées. » (CNDP, 2000)
Les disciplines linguistiques
Le référentiel des compétences professionnelles du métier du professorat et de l’éducation offre également des perspectives d’éducation à la diversité et à l’interculturel. Cette évolution s’explique par la référence au « cadre européen commun de référence pour les langues ».
« Article 4. Prendre en compte la diversité des élèves
Adapter son enseignement et son action éducative à la diversité des élèves.
Article 8 (…) Participer au développement d’une compétence interculturelle chez les élèves. » (MEN, 1er juillet 2013).
Ces principes, validés dans les disciplines linguistiques, ont vocation à intégrer aussi les programmes de l’enseignement de la morale laïque et citoyenne.
Les préconisations du rapport sur « la refondation de la politique d’intégration » (2013), qui concernent le système éducatif (p 24-25 du document "Connaissance et reconnaissance") portent sur de nombreuses disciplines : la philosophie (p 15), l’histoire (p 24), les arts ( p 31), les langues (p 34, 39), le français (p 40-41) ; mais aussi la coopération francophone, la création, l’animation et l’expression culturelles (p 51,52), l’interculturel (p 33), la formation (p 51, 52)...
La philosophie
« Principe 1.3 Le vivre ensemble repose sur la reconnaissance des identités multiples dans le respect du socle commun de la République :
Mettre en place des « ateliers-débats de philosophie » qui s’appuient sur le plaisir de débattre et d’échanger, qui respectent le silence de la réflexion et la passion des propos et qui donnent à voir et à entendre à tous la multiplicité des voies et expériences ainsi que la complexité de la construction de l’identité de chacun. Ces ateliers pourraient s’organiser à tous les niveaux scolaires, de la maternelle à la classe de seconde, entre 4 à 6 par année scolaire, sur des sujets tels que l’altérité, l’identité, les questions de genre, la religion, les questions de virtualité et de réalité, la violence, la culture, le pouvoir... »
L’histoire
« Principe 2.3. La transformation des représentations par une action éducative et pédagogique :
Renforcer et/ou inscrire dans les programmes scolaires (dès l’école primaire et tout au long de la scolarité) l’enseignement de…
l’histoire des mouvements de population dans leur globalité, c’est-à-dire ceux liés à l’esclavage et à la traite négrière, aux colonisations et décolonisations y compris celles des guerres d’indépendance, des immigrations économiques dont celles organisées par la France et les pays de recrutement, des immigrations d’ordre familial, des refugiés, sans oublier celles les plus récentes liées aux printemps arabes et celles des Roms,
l’histoire de la participation des populations des colonies françaises aux différentes guerres.
Cet enseignement doit être mené de manière identique sur l’ensemble du territoire national (métropole et outre-mer). »
L’éducation artistique
« Principe 3.2. L’accessibilité de tous à l’éducation et à la pratique artistique :
Développer l’accès de tous à l’éducation et à la pratique artistique de son choix dans la proximité de son lieu de vie articulé à celui d’une offre artistique professionnelle et amateur comme une priorité politique majeure de développement humain et d’aménagement du territoire pour les années à venir.
Reconnaître la place, la parole, le savoir et la compétence de chaque personne vivant sur un territoire quelle qu’elle soit, comme un enjeu de démocratie.
Reconnaître et soutenir ou encourager les pratiques artistiques exigeantes mais non (encore) institutionnelles ainsi que les pratiques artistiques émergentes et plus particulièrement celles des jeunes. »
Les langues
« Principe 4.1. La reconnaissance de la place essentielle de l’apprentissage et de la valeur de la langue parlée en famille (ou première)…comme support à l’apprentissage de la langue française et comme un atout de développement du multilinguisme chez tous les élèves, et plus largement de développement de leurs compétences linguistiques.
Favoriser et valoriser l’apprentissage de toutes ces langues, y compris la langue créole par exemple.
Mettre en place les modalités d’un enseignement de l’arabe et du créole, assuré par l’Education Nationale, au même titre que les autres langues en l’introduisant dans les meilleures écoles et lycées sur tout le territoire français. Un travail complémentaire doit être mené dans ce domaine afin de déterminer les modalités concrètes de portage par l’Education Nationale de cet enjeu (quelles langues arabes ? quelles conditions d’intervention des enseignants ?...).
Donner la possibilité d’un enseignement dès le collège d’une langue africaine (à choisir parmi celles les plus représentées/parlées en France). »
Le français langue étrangère (FLE)-français langue seconde (FLS)
« Principe 4.2. Réinterrogation des modalités d’apprentissage du français dans les dispositifs d’accueil des primo-arrivants :
Poursuivre la mise en place d’un référentiel commun d’apprentissage et d’évaluation de la langue française notamment dans le cadre de la labellisation des organismes privés habilités à proposer aux migrants une formation en Français Langue d’Intégration, en l’inscrivant dans une logique de reconnaissance des langues parlées au sein des structures familiales.
Reconnaître les compétences linguistiques des enfants « allophones » nouvellement arrivés (EANA) en retravaillant les méthodes d’apprentissage permettant de faire de la langue première un atout. « L’inclusion scolaire vise donc à faire évoluer les systèmes éducatifs et les pratiques des acteurs, prenant en compte – sérieusement et non seulement dans le discours – la singularité des parcours des élèves, tout en élaborant des dispositifs collectifs où la diversité est accueillie et mobilisée, dans un objectif commun. »
« Principe 5.2. Le renforcement des programmes permettant la mobilité des jeunes
Soutenir plus fortement, au niveau des pouvoirs publics, la mobilité des élèves, en l’inscrivant dans les missions de l’enseignant et en développant des programmes ou des structures opérationnelles bilatérales pour soutenir des projets d’échanges basés sur la réciprocité et ce, avec un certain nombre de pays hors Europe (Afrique et Asie en particulier). Une telle démarche de mobilité des élèves devrait par ailleurs être mise en oeuvre au sein même du territoire français entre la métropole et les territoires ultramarins. »
La coopération francophone
« Créer de nouveaux offices bilatéraux ou multilatéraux pour la jeunesse, notamment un Office franco-algérien pour la jeunesse. Un tel organisme pourrait, à l’instar de l’OFAJ, l’Office Franco-Allemand de la Jeunesse, participer aux rapprochements des jeunes des deux pays en travaillant notamment sur la connaissance et la reconnaissance de notre histoire commune et aussi sur le rapprochement des sociétés civiles. Les pratiques et l’éducation artistiques, la création artistique et les résidences de jeunes artistes de part et d’autre pourraient constituer un des axes de développement de ces échanges. Cette proposition ne doit pas obérer la nécessité de développement de l’OMJ (l’Office Méditerranéen de la Jeunesse) à d’autres domaines d’échanges.
Créer un passeport culturel de la francophonie, s’appuyant sur des projets individuels ou collectifs artistiques, culturels, économiques (dont l’économie sociale et solidaire), citoyens... qui permettrait aux jeunes français et aux jeunes de pays étrangers francophones de circuler entre tous les pays francophones afin d’explorer la diversité de la culture et des pratiques langagières de chacun et d’acquérir les connaissances nécessaires à la réalisation et à la circulation de leur projet. »
Cet ensemble de mesures est susceptible de renouveler en profondeur et dynamiser de nombreux enseignements, singulièrement du champ des humanités et sciences sociales. Il est souhaitable à cet égard que le Conseil national des programmes (CNP) prenne en compte tout ou partie de ces préconisations, pour une ampliation à l’échelle de la formation des enseignants dans le cadre des ESPE. L’Ecole républicaine jouerait ce faisant un rôle déterminant pour rééquilibrer les échanges géo-stratégiques, singulièrement sur l’axe Nord–Sud et pondérer ainsi les pressions exercées par l’économisme néo-libéral occidental.
5- L’éducation à une citoyenneté de l’altérité et de la complexité
Dans la perspective du redressement intellectuel et moral de la France, le ministre V Peillon invoque le concept de « laïcité intérieure » cher à Claude Nicollet et à Jean Baubérot, spécialistes du champ. Faire acquérir cette disposition propice à l’exercice de la liberté philosophique nécessite d’éduquer les publics à une décentration volontaire à l’égard des egos comme des instances de pouvoir (gérées par l’Etat), de consommation (au compte des marchés), de communication aussi. Un focus sur ce point précis révèle que les medias, moyens fréquents d’une auto-éducation juvénile empirique, sont souvent des courroies de transmission d’une sous-culture d’obédience atlantiste dont les déclinaisons sont multiples : star system, politique spectacle, culture people... Vu sa part de responsabilités dans la crise systémique dans laquelle Union européenne et France sont englués, ce « néo-libéralisme à caractère moral » nécessite d’être problématisé comme son moteur socio-économique.
Pour ce faire, l’exercice méthodique de l‘intersubjectivité collective, entre représentants de cultures en présence, complète utilement celui qui est préconisé dans le rapport sur l’enseignement de la morale laïque et citoyenne à l’échelle interindividuelle, sous la forme des jeux de rôle. Le jeu des dynamiques dialogiques, démultiplié à deux ou plusieurs niveaux de culture (de genre, d’origine, d’âge, de milieu social ou territorial, de discipline académique…) est à même de contrer plus efficacement les stéréotypies ainsi que les systèmes de domination et de victimisation, intériorisés par les publics. La socialisation de ces derniers doit pouvoir être redéfinie sous l’angle d’un processus d’inter-individuation : de ce fait, du statut d’objets et d’agents soumis à des déterminismes et des rôles psycho-ethno-sociaux, il est possible d’accéder à celui de sujets et d’acteurs conscients des possibles socio-éducatifs et citoyens. Ces démarches de transformation réciproque et en miroir permettent de s’émanciper des mimétismes et d’accéder in fine à des stratégies créatrices. Il incombe aux sciences de l’éducation à théoriser cette montée en puissance de l’humain, qui doit répondre aux défis de la complexité engendrés par la société des medias et la cyber-culture mondialisée. Cet humanisme transculturel est l’horizon d’attente d’une laïcité qui doit pouvoir se confronter valablement aux traditions religieuses et cosmogoniques, fondées sur un idéal de transcendance. C’est à ces conditions aussi que sera rendu opérationnel le principe républicain de fraternité, si longtemps vide de substance laïque, notamment à l’Ecole :
« C’est l’ouverture sur l’autre qui élève l’individu vers le sujet (…) Cette montée de l’individu vers lui-même en tant que sujet ne peut s’effectuer que par la reconnaissance de l’autre comme sujet (…) Reconnaître l’autre comme sujet, c’est reconnaître la capacité universelle de tous de se créer comme sujets » (Touraine, 2007)
Pour conclure, l’interculturel joue un grand rôle dans la lutte pour éradiquer les discriminations sexistes, racistes, xénophobes, âgistes…. Le jeu pacifié des différences identitaires apporte sa « substantifique moelle » à l’édifice juridique des droits et des devoirs. L’universalisme à la française gagne ainsi en substance ontologique et en vitalité, tout en préservant ses fondamentaux philosophiques que sont la rationalité et le culte des droits individuels :
"L’idée de communication interculturelle ne peut se développer que dans l’aire d’influence des sociétés qui reconnaissent l’universalisme de la raison et celui des droits humains.(…) La modernité n’existe pas sans le sujet, et celui-ci n’existe pas sans la modernité, c’est-à-dire hors de l’association de la raison et des droits individuels. Avec cette triade, la communication interculturelle est possible." (Touraine, 2007, p 255-257)
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