J’ai tourné la dernière page de ce gros roman voici plusieurs jours, mais je n’ai pu me mettre à en parler qu’aujourd’hui. Il faut du temps, en effet, pour sortir du traumatisme de cette lecture pourtant captivante du début à la fin. Je ne l’ai pas lu parce que c’était le Prix Goncourt 2013, mais en référence à son auteur, découvert récemment à travers ses romans policiers, justement à cause de la publicité faite autour de ce « vrai » roman-là … Je ne dirai plus que l’attribution du Goncourt est uniquement une affaire entre éditeurs.
D’abord, il y a l’écriture, fluide et précise, soyeuse, tellement évocatrice. La trame de cette histoire totalement romanesque et invraisemblable, même si elle est ancrée au coeur de la réalité la plus cruelle, est celle d’une revanche. Acquise à prix d’or, certes, pour l’un des protagonistes, mais jouissive, jubilatoire.
Le roman commence le 2 novembre 1918, jour des Morts, tout près de la fin des combats. Mourir juste avant l’Armistice, à quoi bon ? Tout le monde sent que la fin des hostilités approche. Justement, cela n’arrange pas le lieutenant d’Aulnay-Pradelle, il lui faut encore un peu de temps pour devenir un héros … une dernière offensive pour reprendre la cote 113, quel qu’en soit le prix. Cet homme, c’est le salopard intégral. Son machiavélisme, sa veulerie, son manque total d’humanité et son avidité stupéfient. C’est lui qui va causer le malheur des deux pauvres héros de cet immense et dernier carnage : Albert et Edouard. Deux êtres aussi dissemblables que possible, mais que le sort lie à jamais.
Je ne vais pas en dire plus car Claude vient de commencer et il ne faut en aucun cas lui dévoiler la suite ...
Pierre Lemaitre campe ici (encore !) des personnages inoubliables, empêtrés dans une aventure folle, où les destins s’entremêlent comme dans les fresques sociales de Zola. Jusqu’au bout, on se demande comment l’intrigue va aboutir … un véritable thriller. Depuis « Le Comte de Monte-Cristo », je n’avais pas connu semblable plaisir. Les situations les plus terribles jalonnent le récit cependant : l’horreur de la guerre, les ravages de la morphine sur les grands blessés de la face, la corruption régnant partout dans le désordre de l’immédiat après-guerre, la misère des estropiés, la peine des veuves et des mères, la culpabilité, toute une génération de jeunes hommes anéantie, des officiers complètement traumatisés qui, quarante ans plus tard, revivront le cauchemar. Et là-dessus, d’incroyables arnaques (l’une est imaginaire, l’autre pas).
Pierre Lemaitre est un écrivain qui travaille. Ses sources sont historiques et littéraires … Pour moi qui suis, depuis l’enfance, passionnée par l’histoire en général et celle de la Grande Guerre en particulier, cet ouvrage figure désormais parmi ceux qui m’auront marquée à jamais.
Au revoir là-haut, roman de Pierre Lemaitre, chez Albin Michel, 567 p. 22,50€