Ils se sont rencontrés lors d'une convention spécialisée à San Diego, et ils se sont tout de suite aimés. Je veux parler du couple formé par Stan Lee, architecte en chef de l'univers Marvel, et du français Jean Giraud, alias Moebius. Quelques mois plus tard naissait leur enfant, une aventure hors continuité et délicieusement onirique du nom de Surfer d'Argent : Parabole. Le Surfer est probablement le héros le plus adaptable à la poétique et au style inimitable de Moebius. Sa quête d'amour et de vérité, son sentiment profond d'aliénation et d'incompréhension dans un monde qui préfère se laisser guider par ses péchés, plutôt que d'exprimer tout le potentiel de sa bonté et de ses qualités, ont été les raisons qui ont motivé le français à se lancer dans cette expérience.
Dans Parabole, le Surfer erre sur Terre comme un vagabond sans-abri. Sa planche de surf est emballé sommairement dans des haillons, et il traîne ses guêtres dans les bas-fonds de New-York. Jusqu'au jour où un événement impromptu déclenche une vague de folie collective, et réveille les plus bas instincts du genre humain, qui se sent menacé dans son espèce : l'arrivée de Galactus, le dévoreur de mondes. Ce dernier avait fait serment au Surfer (son ancien héraut) de ne plus toucher à notre planète, mais sa faim atavique l'a poussé à revenir, pour adopter une tactique différente. Le géant spatial reste immobile et n'attaque pas, mais son inaction est encore plus effrayante, et pousse un peu tout le monde à la paranoïa. Certains en profitent pour exploiter les plus faibles, comme un prêtre évangéliste auto-proclamé qui va instaurer le culte de Galactus, pour assouvir son besoin de pouvoir et de célébrité. Tout le contraire de la soeur, qui elle réveille la compassion du Surfer pour le genre humain, et incite le héros à donner le meilleur de soi pour lui sauver la vie, lorsqu'elle est prête à se sacrifier pour le bien commun.
On ne peut nier que sous des aspects bienveillants et volontaristes, Stan Lee est loin de signer une aventure très subtile, où la rhétorique et les bons sentiments dégoulinent abondamment comme la confiture sur une grosse tartine au petit déjeuner. On en met partout et ça colle, ici on frise l'overdose et ça manque singulièrement de nuances. Évoquer la divinité, le statut d'humain, le dépassement de soi et le concept même d'humanité, en aussi peu de pages et avec aussi peu de recul, c'était bien sur un pari casse-cou. Les dessins de Moebius changent agréablement des standards en cours dans les comic-books d'alors. Son Surfer éthéré et mélancolique traîne sa longue silhouette au travers de planches où il semble plus étranger que jamais à notre planète. C'est bien pour le dessinateur que je vous recommande de vous procurer cet album, édité en 1990 chez Casterman, dans un format souple agréable à prendre en main, puis chez Soleil en 2001, avant cette nouvelle édition proposée par Panini en ce mois d'avril. Attention donc au style de ce récit, qui ensorcellera les grand naïfs et les âmes sensibles, mais laissera de marbre les amateurs de comic-books modernes et désabusés.