"Morieux fronce les sourcils. Il n’aime pas les morts suspectes. A la guerre, on veut des morts franches, héroïques et définitives, c’est pour cette raison que les blessés, on les supporte, mais qu’au fond, on ne les aime pas."
"Le pays tout entier était saisi d’une fureur commémorative en faveur des morts, proportionnelle à sa répulsion vis-à-vis des survivants."
La scène d’ouverture rappelle tout d’abord au lecteur toute l’horreur de la guerre en le propulsant au milieu de la toute dernière bataille, l’assaut de trop qui permet de faire la connaissance des trois personnages principaux et d’une bonne poignée de morts que la France tiendra à glorifier à tout prix. L’histoire débute en novembre 1918, au moment où l’armistice est tellement proche que toute raison de se battre semble dérisoire. C’est évidemment sans compter sur l’ambition démesurée du lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle, qui veut profiter des derniers instants de cette boucherie à grande échelle pour gagner encore un peu de galon en ravissant une dernière parcelle de terrain aux boches. Parmi ceux qui décomptent les heures et ne songent plus à se battre, il y a Albert Maillard, un brave petit employé de banque dans le civil, et Edouard Péricourt, un artiste issu de la haute bourgeoisie. En sauvant le premier d’une mort certaine, le second aura cependant la moitié de visage arrachée par un obus allemand. À l’issu de cette bataille inutile, le lieutenant sera promu capitaine alors que les deux poilus auront l’occasion de découvrir que l’après-guerre qu’ils attendaient avec tant d’impatience ne tient pas vraiment toutes ses promesses.
"Au début du conflit, cette vision sentimentale, il la partageait avec bien d’autres. Il voyait des troupes sanglées dans de beaux uniformes rouge et bleu avancer en rangs serrés vers une armée adverse saisie de panique. Les soldats pointaient devant eux leurs baïonnettes étincelantes tandis que les fumées éparses de chaque obus confirmaient la déroute de l’ennemi. Au fond Albert s’est engagé dans une guerre stendhalienne et il s’est retrouvé dans une tuerie prosaïque et barbare qui a provoqué mille morts par jour pendant cinquante mois."
"Aujourd’hui, évidemment, il jugeait les choses assez différemment. Il savait que la guerre n’était rien d’autre qu’une immense loterie à balles réelles dans laquelle survivre quatre ans tenait fondamentalement du miracle."
« Au revoir là-haut » raconte donc les lendemains peu glorieux de la guerre avec d’un côté cet ancien lieutenant qui, après avoir récolté la gloire, va tout faire pour s’enrichir sur le dos de cette guerre, et de l’autre, deux survivants brisés physiquement et mentalement par les combats, qui vont lutter pour leur survie dans le Paris de l’après-guerre. Pierre Lemaitre a cependant l’intelligence de proposer ce fond historique sous forme de polar. Pour ce faire, il développe deux histoires d’escroqueries parallèles, l’une sordide autour d’une livraison de cercueils et l’autre monumentale, symbolisant toute la détresse des anciens combattants vis-à-vis de morts qui sont mis sur un piédestal. Ce polar psychologique et sociologique à l’ambiance historique propose également de nombreux personnages secondaires hauts en couleurs, tels que ce vieux fonctionnaire amateur de poulet ou cette petite fille qui se lie d’amitié avec cette gueule cassée qui refuse toute restauration faciale.
Un prix Goncourt 2013 qui saura ravir un large public !
"Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt étaient morts depuis longtemps. De la guerre, justement. Aussi, en octobre, Albert reçut-il avec pas mal de scepticisme les rumeurs annonçant un armistice. Il ne leur prêta pas plus de crédit qu’à la propagande du début qui soutenait, par exemple, que les balles boches étaient tellement molles qu’elles s’écrasaient comme des poires blettes sur les uniformes, faisant hurler de rire les régiments français. En quatre ans, Albert en avait vu un paquet, des types morts de rire en recevant une balle allemande."
"Mourir le dernier, se disait Albert, c’est comme mourir le premier, rien de plus con."