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Pourquoi m’as-tu abandonné ?

Par Sylvainrakotoarison

« Et à la neuvième heure, Jésus jeta un grand cri en disant : "Eloï ! Eloï ! Lama sabachthani !", c’est-à-dire : "Mon Dieu ! Mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ?" » (Marc XV, 34).

yartiPourquoiMasTuAbandonne01Ce vendredi 18 avril 2014, les chrétiens célèbrent le Vendredi Saint qui remémore la mort du Christ durant la Semaine Sainte qui se terminera par la fête de Pâques, qui correspond, pour les croyants, à la Résurrection de Jésus. Le Jeudi Saint et le Vendredi Saint, c’est ce qu’on appelle la Passion du Christ, l’histoire de ses deux dernières journées, la Cène avec ses douze apôtres, la méditation sur le Mont des Oliviers, puis, le lendemain, l’arrestation, le jugement, la torture et la Croix.

En fait, toute cette histoire est racontée dès le dimanche des Rameaux, et dans l’Évangile selon saint Marc (et aussi selon saint Matthieu, mais avec une très légère variation dans sa transcription grecque), il est décrit l’effroyable doute qu’a exprimé Jésus sur sa Croix, quelques minutes avant de mourir : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? ».

Une phrase d’autant plus incompréhensible que Jésus savait exactement à quoi s’en tenir dès le début. Les larmes de sang sur le Mont des Oliviers, la peur de ce qu’il va advenir pour lui et finalement, la réalisation de ses paroles. Et s’il s’était trompé ? Et si tout cela n’avait été qu’une illusion ? Il n’y aurait plus de Père, il serait alors tout seul, à son terrible sort, sans porte de sortie ? Le doute du plus chrétien des chrétiens renvoie à l’essence même de la foi.

Il y a très longtemps, j’avais eu connaissance d’un très vieux prêtre qui, sur son lit d’agonie, avait, lui aussi, douté de la sorte. Et si Dieu n’existait pas ? Toute une vie pour rien ? Je me disais à l’époque que l’existence de Dieu n’était pas l’essentiel : qu’Il existe ou pas, la vie d’un prêtre a sûrement été aussi voire probablement plus utile que bien des autres vies, et à commencer par la petite mienne.

Le doute est d’ailleurs le moteur de la foi. La foi du charbonnier, comme on disait, c’est la foi aveugle, la foi qui laisse les autres réfléchir à sa place, et somme toute, un comportement typiquement sectaire. La foi se nourrit du doute, n’est qu’une lente progression. C’est par le doute qu’on se renforce.
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Cette question : "Pourquoi m’as-tu abandonné ?" ne cesse de résonner en moi dans des contextes bien différents de la Passion du Christ.

Me vient à l’esprit l’idée de décliner la phrase pour nos Présidents de la Ve République. Le choix est forcément subjectif. J’y inscris aussi une date de référence.

Charles De Gaulle : Mon Peuple ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? (27 avril 1969)
Georges Pompidou : Ma Santé ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? (2 avril 1974)
Valéry Giscard d’Estaing : Mon Allié ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? (25 août 1976)
François Mitterrand : Mon Socialisme ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? (22 mars 1983)
Jacques Chirac : Mon Europe ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? (29 mai 2005)
Nicolas Sarkozy : Ma Chérie ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? (15 octobre 2007)

Et François Hollande ?

Pour tout dire, mon idée s’était d’abord appliquée à lui dès la fin de l’année 2012 et ses incantations sur l’inversion de la courbe du chômage.

Car François Hollande était bien dans ce cadre : considérant, comme ancien élève de HEC, que le cycle ne pouvait que remonter après avoir été tout en bas, la croissance reviendrait comme par enchantement (ce rêve réenchanté). Comme une véritable opération du saint Esprit. Il y a une véritable religiosité dans cette croyance.

Pendant les premiers mois de 2013, tous les ministres s’évertuaient à marteler que l’objectif des 3,0% du PIB de déficit public serait atteint pour l’année 2013. Au final, 4,3% ! Une foi quasiment du charbonnier.

Le problème, c’est qu’il n’y a que le gouvernement qui ne doute pas. Les Français, et principalement, les électeurs de François Hollande le 6 mai 2012, eux, sont dubitatifs depuis longtemps. On pensait aussi qu’il y aurait rebond avec la nomination de Manuel Valls à Matignon. Même pas ! Chute de 5% ! Certains sondages ont même évalué la satisfaction des Français à seulement 17% ! Cela ne s’est encore jamais produit. Avec les incertitudes des enquêtes d’opinion, on va bientôt tomber dans des pourcentages négatifs !

Les déclarations de Manuel Valls à l’issue du conseil des ministres du 16 avril 2014 restent encore très colorées de cette foi du charbonnier. On veut faire 50 milliards d’euros d’économie (son plan ne me paraît pas du tout capable d’atteindre cet objectif), mais l’objectif lui-même me paraît bancal. Le pacte de responsabilité et de solidarité va coûter plus de 50 milliards d’euros en lui-même. Et en plus, on veut encore baisser le déficit public (ce qui est une bonne chose dans le principe). Si bien que n’importe quel enfant sachant faire des additions répliquerait au gouvernement : il faut faire au moins 100 milliards d’euros d’économie.

Au lieu de cela, on continue à embaucher à tout va dans la fonction publique, en sachant que l’engagement de l’État pour le recrutement d’un fonctionnaire dure 73 ans en moyenne (carrière, retraite, pension de reversion) avec un coût total moyen de l’ordre de 1,5 million d’euros par embauche. On préfère réduire (avec l’inflation) la pension des retraités à augmenter l’âge de la retraite. On oublie de réformer les régimes spéciaux de retraite. On préfère ne pas faire les réformes de structures, attendues depuis le début des années 1990 pour continuer à coller des rustines. Et on fusille le pan entier de l’assurance autonomie que Nicolas Sarkozy avait renoncé à mettre en place en été 2011 à cause de la crise de l’euro.

C’est la mystification hollandienne qui dure depuis presque deux ans : on ne peut pas dire en même temps qu’on va alléger les prélèvements des entreprises, réduire l’imposition des particuliers, diminuer le déficit public sans y mettre parallèlement les véritables moyens de cette politique, à savoir une baisse drastique des dépenses publiques.

Mais tout le raisonnement du gouvernement, ce gouvernement-ci comme le précédent, car les mesures annoncées étaient déjà prêtes avant les municipales, tient à un seul acte de foi, un dogme révélé : la croissance reviendra en France, ce qui permettra une augmentation mécanique des recettes de l’État et donc, un réduction parallèle du déficit public.

Un acte de foi tellement fort que Michel Sapin, lors de son premier déplacement à Bruxelles comme nouveau Ministre des Finances, n’a même pas osé demander un délai supplémentaire pour l’objectif des 3%.

Mais rappelons par ailleurs avec force que cet objectif n’est pas assez ambitieux. L’objectif doit être de 0% ! On ne doit pas dépenser plus que l’on ne gagne. Une gestion que tout ménage connaît puisque, contrairement à l’État, un foyer n’est pas capable de se surendetter autant que l’État (la solvabilité étant calculée par le rapport entre l’endettement et les recettes et pas par rapport à un équivalent du PIB qui ne signifie pas grand chose financièrement). Ce n’est pas l’Europe qui nous impose cette rigueur, c’est la France qui souhaite l’atteindre pour retrouver son indépendance financière et donc, sa souveraineté nationale.

Croire que l’hypothétique croissance venue de nulle part va résoudre toutes les difficultés budgétaires de ce quinquennat, c’est croire que le salut réside dans l’immobilisme et le statu quo d’une société pourtant sclérosée. Cet acte de foi sera sans doute à l’origine de bien des crissements de dents à la fin de ce quinquennat.

Si bien que j’imagine donc effectivement bien François Hollande dire, dans trois ans, le soir du 7 mai 2017, ou, si l’on veut être cruel, le soir du 23 avril 2017 : Ma Croissance ! Pourquoi m’as-tu abandonné ?

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 avril 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Passion du Christ : petites réflexions périphériques.
Quand est mort Jésus-Christ ?
Texte selon saint Matthieu.

(Les trois illustrations sont des œuvres de Pablo Picasso).
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http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/pourquoi-m-as-tu-abandonne-150815


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