Le frère de mon père

Publié le 18 avril 2014 par Dubruel

MON ONCLE JULES

  (d'après Maupassant)

Chaque dimanche, en voyant

Entrer au port le grand navire

Qui revenait des Amériques,

Mon père, dans un demi-soupir,

Prononçait : « Et si Jules était là-dedans,

Ce serait une surprise magnifique ! »

Mon oncle Jules s’était mal conduit,

Vraiment très mal conduit.

Il avait mangé tout l’argent

De mes grands-parents

En se montrant un invétéré noceur,

On l’avait expédié à New-York.

C’est ainsi qu’on agissait alors.

Là-bas, il s’était établi restaurateur,

Espérant pouvoir rembourser ses parents.

Mais Jules n’y parvint jamais.

Il leur avait écrit pourtant :

Quand je rentrerai

À Etretat

Votre situation changera.

Alors les dimanches, au port,

Dès qu’on apercevait de loin un passager du bord

Agiter son mouchoir,

On s’attendait à le voir.

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Ma sœur s’est fiancée le jour de ses vingt ans.

Pour fêter l’événement,

Mes parents avaient organisé

Un petit voyage à Jersey.

Sur le bateau, un matelot en guenilles

Vendait des crabes et des étrilles.

Il attira l’attention de mon père.

Il l’a regardé un instant faire

Puis a balbutié :

-« C’est singulier

Comme cet homme ressemble à Jules. »

Ma mère, interdite, lui demanda :

-« Quel Jules ? »

Mon père précisa :

-« Mais,…mon frère !

Si je ne le savais pas au-delà des mers,

Je jurerais que c’est lui. »

-« Tu es fou. Ça ne peut pas être lui.

Pourquoi dis-tu ces bêtises-là ? »

Mais mon père insista :

-«  Va donc le voir. J’aime mieux

Que tu t’en assures de tes propres yeux. »

Quand ma mère revint, elle tremblait :

-« Va te renseigner, s’il te plait,

Auprès du capitaine. Surtout, pas d’impair !

Que Jules ne nous retombe pas sur les bras ! »

Le capitaine raconta

À mon père :

-« Je l’ai trouvé à New-York l’an dernier.

Et je l’ai rapatrié.

C’est un vagabond français, un miséreux.

Il avait au Havre, m’a-t-il dit, quelques parents

Mais ne voulait pas retourner chez eux

Car il leur devait beaucoup d’argent.

Il parait aussi qu’il a été riche là-bas. »

-« Ah !...fort bien. Cela ne m’étonne pas ! »

Répondit mon père

Qui se rapprocha ensuite de ma mère :

-« C’est bien Jules ! »

-« J’ai toujours pensé

Que ce voleur nous retomberait sur le dos ! »

Afin de ne pas le rencontrer,

Nous sommes rentrés de Jersey

Par un autre bateau, celui de Saint-Malo.

Depuis, je n’ai jamais revu le frère

De mon père.