Voilà, ça y est, on a les détails, on a les chiffres, on a le calendrier, on a tout, on sait exactement comment Manuel Valls va redresser le pays, le ramener sur le droit chemin de la croissance et de la rigueur budgétaire.
Cela faisait quelques semaines qu’on chuchotait partout, dans les couloirs de la République, qu’un plan d’économie de 50 milliards (50 miyards, mes enfants, voilà un chiffre qui envoie du steak, n’est-ce pas ?) était dans les tuyaux. La rumeur a enflé au point qu’une date était arrêtée : le 23 avril, on allait faire valser du chaton grillé avec un plan détaillé, chiffré, imparable. C’est dit : le nouveau premier ministre a de la poigne, il bastonne violemment les méchantes dépenses, il aplatit les déficits, il détruit de la dette à la dynamite, et mieux encore, le Manuel construit un avenir en béton et à la truelle.
Et histoire de prendre tout le monde par surprise, c’est donc le 16 avril que Valls décide, au sortir d’un Conseil des Ministres long et manifestement agité, d’annoncer à la face du monde ébahi les grandes et petites lignes de son Plan.
D’habitude, la République Française nous annonce des Plan Quinquennaux, comme jadis une Union Soviétique en pleine forme. Cette fois-ci, ce sera un Plan Triennal, qui permettra, selon les calculs, de faire des économies de 50 milliards en trois ans. Et son détail ne manque pas de sel, c’est même François Hollande qui le dit donc c’est forcément plus que vrai : selon lui, la feuille de route pour faire ces économies est « difficile », « âpre », « rugueuse » mais (bien sûr) « indispensable ».
On ne s’étonnera pas de cette présentation par le Chef de l’Etat : toute démonstration de tiédeur ou de mollesse aurait immédiatement entaché son remaniement ministériel d’un doute persistant sur son utilité, et aurait fait passer les tentatives de Valls pour l’un de ces bricolages auxquels les politiciens nous ont habitués depuis quelques décennies. Le plan est donc forcément audacieux, forcément courageux, forcément difficile à mettre en oeuvre et forcément inédit. Pour tout dire, on dirait un Villepin dans ses œuvres.Et concrètement, tout ceci donne quoi ?
Justement, c’est un peu la question à 50 milliards.
Il y a bien quelques chiffres, quelques éléments, qui déclenchent d’ailleurs des petites crises d’urticaire tant à droite qu’à gauche. Si l’on s’en tient à la presse, le discours est unanime : jamais pareil effort n’a été demandé aux Français, et variations sur le thème des efforts, de la résignation, de la situation difficile et du sacrifice que chacun doit consentir pour aider la collectivité.
Mais dès qu’il s’agit de chiffrer, on ressort toujours les mêmes éléments : 18 milliards pour l’Etat, 11 milliards pour la protection sociale, 10 pour l’assurance maladie et 11 sur les collectivité locales, voilà, c’est là qu’on va économiser, sur trois ans, et puis c’est bon. Ce quadruplet de chiffres est répété à l’envi. Gel de ceci, maîtrise de cela, tout ceci est proprement accolé à ces chiffres. C’est propre, c’est net, … mais c’est très insuffisant.Oh bien sûr, il suffit d’écouter les miaulements tristes de la gauche pour comprendre qu’il y a bel et bien des éléments qui vont faire mal, au moins psychologiquement : le gel des minimas sociaux fait bondir ; le gel du point d’indice des fonctionnaires hérisse ; le blocage de certaines prestations sociales fait pleurer dans les chaumières et sur les bancs de l’assemblée. Mais voilà : avec une inflation actuellement nulle (voire négative) et une croissance atone, ce gel revient simplement à acter du surplace manifeste de l’économie française. Mieux : pour les fonctionnaires, la conservation de la progression de carrière, quasi-automatique, réduit à peu près à néant l’impact du gel dont il est question. Il n’y a là aucun effort, tout au plus une synchronisation timide avec la réalité. C’est certes gentiment mieux qu’une accélération des dépenses, mais on est fort loin d’une coupe quelconque. Si l’on ajoute certaines dépenses, parfois fort conséquentes et aux implications économiques lourdes dans le futur, comme la conservation des 60.000 recrutements enseignants, on ne voit pas trop bien où, précisément, est l’économie.
Partout, c’est le même constat : promis, juré, craché, l’Etat va rationaliser, il va regrouper (ses achats, ses dépenses, ses services), il va faire des efforts, il va couper un peu ici, tripoter là pour faire rentrer le tout dans une enveloppe budgétaire soi-disant plus étroite. Bref, Valls montre qu’il veut ralentir le rythme du n’importe-quoi / n’importe-comment étatique. Il n’y a pas à dire, le ralentissement des dépenses, c’est modérément couillu.
Que la gauche, qui voit ici se fermer le robinet à pilules psychotropes, pousse des hauts cris, est finalement normal : on va revenir (très progressivement) à la réalité, ce qui, pour tout junkie, est synonyme d’un douloureux sevrage. Plus amusant, la droite couine aussi en pleurnichant sur l’absence de réformes structurelles, réformes que les clowns et autres tocards qui forment ses rangs n’ont jamais entreprises pendant les longues années qu’ils ont passés à polir de leurs amples fesses les bancs de l’Assemblée.
Et finalement, la réaction de la presse est tout à fait symptomatique : dans un bel ensemble, elle accuse le coup et multiplie les adjectifs pour arriver à faire passer l’idée que ces mesures sont à la fois révolutionnaires et douloureuses, en multipliant les titres qui cognent (« Valls frappe fort » pour les Echos, « Valls fâche à peu près tout le monde » pour Le Monde – ce qui n’est pas une coïncidence, etc…) Pour le lecteur lambda, difficile ensuite de ne pas croire qu’on tient là un vrai plan d’austérité qui pique.
Mais voilà. Comme je l’expliquais dans une chronique précédente, le gouvernement est parfaitement et complètement coincé.D’un côté, il sait pertinemment qu’il ne peut pas continuer à enquiller les dépenses et les déficits ; certes, pour le moment, les marchés sont bonhommes, et les taux accommodants, mais rien ne permet d’affirmer qu’il en sera éternellement ainsi (que du contraire, même). Mais les contribuables n’ont plus aucune marge de manœuvre et la grogne de l’hiver dernier n’a laissé aucun bon souvenir : on ne pourra plus augmenter le tabassage fiscal.
De l’autre, le corps social qui dépend ultimement de l’Etat et de sa capacité à ponctionner les contribuables n’est toujours pas résolu à lâcher l’affaire : les syndicats ont déjà montré leur désaccord du plan de Valls, les administrations, si elles se montrent résignées, savent pertinemment couper là où c’est le plus visible, là où ça fait le plus mal (fini l’essence pour les patrouilles de police, par exemple) pour s’attirer la sympathie d’un public acquis à ce service social que le monde nous envierait suivant la rumeur consacrée, les fonctionnaires accepteront peut-être sans trop grogner le gel de leur salaire (qui est à la situation du chômage en France ce qu’une aquarelle légère est aux peintures torturées d’un H.R Giger).
Et enfin, le reste des Etats européens ne sera pas d’accord pour continuer à payer les factures des dispendieux Français. Certes, l’Europe s’est toujours montrée plus que magnanime avec la France et n’a, en définitive, aucun pouvoir coercitif réel. Mais les tensions diplomatiques n’iront pas en s’améliorant si les efforts consentis, rikikis jusqu’à présent, ne permettent pas de réellement diminuer les dépenses de l’Etat français.
Devant ces éléments, les petits bricolages marginaux de Valls ressemblent à une énième fuite en avant socialiste. On arrange, on chipote, on triture un peu ici ou là pour éviter la catastrophe, trop vite. On peut toujours, par résignation, naïveté ou optimisme indécrottable, accorder 6 ou 9 mois au nouveau premier ministre pour nous montrer la réalité du plan qu’il entend mettre en place. Mais pour ma part, mon avis est déjà formé.
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