Connaissez-vous un certain Spider Jerusalem? Le type est assez solitaire, au point d'être parti s'établir depuis cinq ans sur une montagne. Tout ceci pour échapper à la civilisation urbaine, violente et putassière, qui est ici résumée sous le patronyme de La Ville. C'est une Amérique futuriste, d'anticipation catastrophe, aux accents cyberpunk, que dépeint Ellis dans Transmetropolitan. Les gangs investissent les rues, les sous-cultures fleurissent allègrement, et notre anti héros fréquente principalement le quartier de Angels 8, où nous pouvons trouver des humains qui ont décidé de devenir des aliens en recourant à de complexes interventions chirurgicales. A cause d'un contrat qu'il doit honorer, Spider Jerusalem est contraint de revenir enquêter sur ces individus, mais le lecteur se rend bien vite compte qu'il ne s'agit que d'un prétexte simple, et évident pour qui connaît le scénariste anglais : partir dans une longue diatribe sur l'état du monde, et le raconter à la sauce Warren Ellis. Une métaphore inquiétante et pertinente sur les maux de notre réalité, ici distordus et emphatisés à l'extrême. Les chaînes de télévision abreuvent le peuple de sexe et de violence gratuits, et sont devenues fort habiles dans la capacité de désinformer pour cacher les vérités les plus sordides. Les drogues sont monnaie courante, tout comme la vision distordue de la religion, ou la critique d'une société de consommation qui finit par tourner à vide et produire du malheur. Au centre de tout cela, c'est aussi la rébellion qui est un thème majeur. Contre l'état, contre les gouvernements et toute forme d'autorité. Contre Dieu lui même. Transmetropolitan est un vaste exutoire, une oeuvre libératrice qui se veut indépendante du carcan de tout ce qui opprime consciemment et inconsciemment nos sociétés occidentales sur le déclin.
Les textes de Warren Ellis sont rapides, secs, et imprégnés d'une ironie toute britannique qui trouve son pendant chez un autre grand auteur, Grant Morrison. Il fallait aussi trouver un dessinateur à la hauteur, pour dépeindre cet univers fantasmagorique où on croise des profs de fac hermaphrodites, des robots ménagés drogués, des strip-teaseuses aux formes généreuses... et en ce sens, Darrick Robertson s'en sort plutôt pas mal du tout. Tout d'abord il truffe ses planches de moults détails, ne se contentant pas de s'attarder uniquement sur les personnages principaux. Ensuite il est convaincant lorsqu'il s'agit de s'attaquer à l'architecture urbaine de cette Amérique d'après-demain, ce qui n'était pas gagné d'avance, loin de là. Je trouve juste son trait toujours un peu gras, un peu sombre, mais il épouse bien les visées d'Ellis et dessert l'histoire avec brio. Vous ne pourrez que vous lier avec ce truculent journaliste, Spider Jerusalem, qui connaît son métier et aspire à la vérité, mais possède aussi un caractère particulier, à la frontière du sarcasme et de la médisance, du mépris et de la misanthropie. Un anti conformiste qu'on rêve tous parfois de pouvoir nous permettre d'être, et qui nous conduit dans un délire post moderne où la rébellion couve sous la technologie, et ne demande qu'à exploser. Visionnaire?
Le tome 1 de Transmetropolitan, dans la collection Vertigo Essentiels, est sorti en février dernier. 304 pages, 22,50 euros. Urban Comics, of course.