En partenariat avec les éditions 10-18, certains lecteurs de Babelio ont eu la chance de rencontrer l’auteur Jérémie Guez à l’occasion de la sortie de son nouveau roman Le dernier tigre rouge. Après plusieurs romans noirs parisiens, ce quatrième roman de l’auteur nous entraîne cette fois ci dans un univers totalement différent et dépaysant, celui de la guerre d’Indochine. Entre roman policier, roman de guerre et roman noir, « Le dernier tigre rouge » raconte la quête obsessionnelle d’un légionnaire lors de cette guerre. A travers les personnages de Charles Bareuil et Joseph Botvinnik, Jérémie Guez nous transporte dans un pan de l’Histoire de France trop souvent passé sous silence. Qui sont ces deux hommes, quelles sont leurs histoires ? Jérémie Guez a répondu aux lecteurs de Babelio.
« Le dernier tigre rouge », roman noir sur la légion étrangère en Indochine
Tout d’abord, les lecteurs interrogent Jérémie Guez sur le genre auquel appartient le roman. Un roman policier comme semble l’indiquer la quatrième de couverture et la collection « Grand détective » ? Bien que le roman comporte une enquête, l’auteur avoue que l’intérêt du roman réside avant tout dans l’affrontement entre ses personnages. Pour lui, il s’agit de « dépeindre une petite histoire dans la grande ». Finalement, son roman est une porte d’entrée dans le conflit de la guerre bien que l’auteur entend être jugé pour la qualité de son intrigue plus que pour celle de sa documentation.
Les questions se portent alors sur le cadre du roman : l’Indochine. Le héros, Charles Bareuil, s’engage dans la légion étrangère et rejoint les troupes françaises en Indochine. L’auteur explique qu’il est friand des histoires de décolonisation. L’histoire d’Algérie fait partie de notre éducation, mais celle de l’Indochine est un « creux de connaissances ». Il a donc voulu soulever le voile qui plane sur cette guerre. En s’y intéressant de plus près, il a redécouvert la Légion étrangère qui est devenue un point central de son roman.
La Légion étrangère est une spécificité de l’armée française. Elle est composée de ressortissants étrangers souhaitant s’engager dans l’armée française. Les particularités de la Légion font sa force : il y a très peu de légionnaires français, les soldats sont très unis et, malgré leurs nationalités diverses, forment certainement les soldats les plus républicains de l’Armée. La Légion ne prend pas en compte le passé de ses soldats ; pour beaucoup il s’agit ainsi d’une seconde chance. Le fait que d’anciens soldats Allemands ou Résistants pouvaient s’y côtoyer et faire la guerre ensemble l’a fasciné. Jérémie Guez raconte qu’il a pu accéder aux informations concernant la Légion très facilement car de nombreux soldats ont laissé des témoignages. Il lui a été beaucoup plus dur de récupérer les informations vietnamiennes car c’est encore un régime communiste.
Se pose alors la question du point de vue. Choisir comme cadre la légion étrangère et comme héros un français est plutôt paradoxal ! Dans un sourire, Jérémie Guez explique que c’est un choix conscient : « Je voulais aborder cette guerre par le prisme de ce personnage issu d’une minorité » explique-t-il. La vision qu’avaient les légionnaires de l’Indochine était très étrange : ils imaginaient une sorte d’Eldorado, ils rêvaient de paysages somptueux, de femmes et d’insouciance. La Guerre d’Indochine était alors vue comme une « guerre de routine » avec peu d’affrontements jusqu’à ce que cela s’envenime peu à peu. Bareuil veut lui se rattraper de son engagement tardif contre les Allemands lors de la Seconde Guerre mondiale. Vivre l’histoire à travers Bareuil, c’était également essayer de comprendre ce personnage français au milieu des légionnaires, brasement social et culturel dans un pays qui n’est pas le sien.
Bareuil et Botvinnik, des personnages complexes
Un fois les questions du cadre et du point de vue expliquées, Jérémie Guez est interrogé sur ses personnages. Tout d’abord, les lecteurs de Babelio souhaitent savoir si Charles Bareuil, le légionnaire et Joseph Botvinnik, l’occidental engagé chez les vietminh, vont devenir des personnages récurrents. La réponse ne se fait pas attendre « j’espère que oui» dit l’auteur, avant qu’il ne nuance ses propos « J’aimerais me pencher sur la passé de Bareuil, mais soyons honnêtes, il ne peut pas avoir vécu toutes les guerres ! ». Une fois rassuré sur le futur des héros, nous nous attardons sur Charles Bareuil, cet homme traumatisé qui a tout perdu lors de la seconde guerre mondiale. Il se retrouve, au sortir de la guerre, inapte au monde réel, ne pouvant plus trouver sa place dans cette société qu’il ne comprend pas, qu’il ne comprend plus. Son passé est esquissé dans Le dernier tigre rouge mais il reste de nombreuses zones d’ombres : l’histoire de sa famille, le rôle de son père… Son passé trouble et compliqué fait de lui un personnage très intéressant, en quête d’identité. Quant à ses convictions politiques, il n’en a plus. Dégouté de la politique, Jérémie Guez le défini comme « Anarchique à la rigueur, mais sans la violence et le militantisme ; il est déçu de la politique et de l’engagement. Il cherche à fuir la vie civile. » Ni amer, ni naïf, Charles est un homme marqué par la vie et pourtant respectueux de cette dernière. Un lecteur demande alors s’il y a une part de Jérémie Guez dans Bareuil, ou de Charles dans Jérémie. « Peut-être répond l’auteur, Ce n’est ni un personnage idéaliste ni une brute épaisse.» Sa force, c’est son espoir, son envie de rédemption. « Heureusement, ajoute l’auteur, je ne suis pas aussi cabossé que lui !»
Mais alors qu’en est-il de Joseph Botvinnik ? Jérémie nous parle de ce personnage, énigmatique, source de l’obsession de Charles Bareuil. Un Français qui se rebelle contre la France et qui rejoint les troupes Vietminh. Botvinnik est un personnage très intéressant, qui interpelle. C’est un anti-héros, traumatisé de la même façon que Bareuil. Ils ont vécu les mêmes choses, mais ont choisi des chemins différents. Jérémie Guez avoue que ce sont ces contradictions, ces ressemblances entre les deux personnages qui lui ont plu lors de la création de ses personnages.
A propos du travail d’écrivain
A la demande des lecteurs présents, Jérémie Guez prend le temps d’expliquer sa méthode de travail. Pour ses recherches préalables, Jérémie a lu de nombreux livres traitant de la guerre d’Indochine puis il s’est lancé dans l’écriture. Au cours de la rédaction, il vérifiait ses informations et relisait de temps en temps quelques ouvrages pour « remette les choses en perspective et sortir la tête du guidon ». Il a également effectué un gros travail de recherche sur les armes utilisées. Il explique qu’actuellement, les légionnaires ont tous la même arme contrairement à 1946 où chacun choisissait son arme de prédilection ou bien les armes abandonnées après la Seconde Guerre mondiale ; il lui a donc fallu plonger dans les écrits des légionnaires pour retrouver les modèles utilisés ! Enfin, il a visionné de nombreux films d’action portant sur la guerre d’Indochine, pour comprendre et s’imprégner de l’ambiance étrange qui régnait sur les troupes. Il parle ensuite de son plan, très précis, mais qui peut évoluer en fonction de l’écriture et de l’évolution de ses personnages.
Interrogé sur le rapport qu’il entretient avec ces derniers, Guez nous avoue qu’il s’est fortement attaché à eux. Bien qu’il écrive de la fiction, il campe et défini ses personnages et se sent comme garant d’eux. Au sein même de la fiction, il n’a pas tous les droits sur les protagonistes, il doit respecter le caractère de ceux qu’il a créé. S’il décide de modifier l’un de ses personnages, il doit le justifier, l’expliquer, afin que cela soit crédible ; finalement, on ne sait plus qui guide qui !
Enfin les lecteurs de Babelio posent des questions techniques à Jérémie Guez : qui a choisi le titre, la couverture, la carte géographique, les notes de bas de pages, les virgules, les points virgules… l’auteur répond qu’il a presque tout choisi. S’il n’y a pas de notes de bas de pages c’est parce qu’il ne les aime pas et les points virgules sont ses signes de ponctuation de prédilection !
Sur ce, le débat se clôture laissant place à une séance de dédicaces où chaque lecteur peut discuter avec Jérémie Guez.
Une très belle rencontre qui a permis à beaucoup de lecteurs de découvrir un jeune auteur très prometteur.
Découvrez Le dernier Tigre Rouge aux éditions 10/18.