[note de lecture] Dominique Quélen, "Énoncés-types", par Vianney Lacombe

 
C’est avec la forme des dizains et des douzains mis en prose que Dominique Quélen expérimente un nouvel espace d’écriture dans lequel chaque poème déploie un mécanisme volontairement impersonnel et répétitif qui met en scène quelques éléments né de l’imaginaire enfantin, une forêt, un loup, un chien, des dés qui sont les recours nécessaires pour ancrer une sorte de fausse narration, ou plutôt un processus de remplissage du poème, à l’intérieur duquel les phrases déplacent ces éléments qui deviennent les acteurs de cette fiction qui ne cesse de se mettre en cause, de s’interrompre et de se reprendre en présentant au lecteur les faces tournantes de cette fausse réalité, un jeu de mots permanent dans lequel le sens n’existe que par la dynamique des phrases  propulsées en hâte et hachées par une ponctuation, elle aussi jouée et surajoutée, créatrice de suspens infondés et paralysante par les retraits qu’elle impose à l’avancée des phrases qui se trouvent tronquées et déviées, puis reprises dans des directions différentes qui se déclarent à leur tour en contravention avec la progression logique des évènements. 
 
91- Je fais de l’action. Vivre est comme écrire pendant vingt ou vingt-cinq minutes. Une puissante avancée géométrique parle. C’est retranscrit au maximum. Un renard sort du bois sous la forme d’un chant. Je vois que c’est impossible. Des hauteurs de murs sont calcinées. La brièveté progresse. Un chien gît. Rien de grave n’atterrit dans le récipient. De l’action peut de nouveau être faite et je conserve la version numéro un. (…) 
 
Ces poèmes organisent l’écriture dans un espace précis, celui des vers justifiés mis en prose, et malgré la neutralité voulue de la syntaxe réduite à une sorte d’exercice de langue,  Ils montrent la préoccupation profonde de Dominique Quélen dans son travail, sa volonté d’explorer la réalité par la force des mots, mais réduits à leur seule présence et dépouillés de la signification qu’ils entretenaient avec le réel dans ses précédents textes: « le projet circule d’un nouvel emploi des verbes »(27),  « Une machine est enfermée dans le vocabulaire restreint » (41), « La représentation resserre des étaux où la vie est prise avec un art très fort » (54), « Nous sommes dans une procédure » (93) 
 
Il est question de retrouver à l’intérieur de ces textes le lieu où les mots sont à nouveau utilisables, où ils sont débarrassés de leur usage antérieur et deviennent simplement les instruments d’une mise en jeu radicale d’une écriture sans passé, mais également sans avenir, puisque le futur des phrases se trouve à chaque fois détourné de son but, contourné pour laisser luire un autre possible, un autre risque de voir les mots s’abîmer dans le chaos et le non-sens. 
 
86- Je surveille et je fais le bilan par degrés. Je ne surveille pas et ne fais pas le bilan. Je me tiens dans cet écart. À partir de là ça devient possible dans un point précis du monde. Je suis caractérisé par une partie en moins qui continue d’exister. Le présent comme catégorie de l’espace l’environne et la délimite. Le corps est mesuré dans sa totalité. On dirait qu’un seul point le constitue. Géométrie différente. Principes ramenés aux plis qu’ils font sur le plan.Ca commence au moment où ça s’arrête.  
 
Mais c’est justement ce que recherche  Dominique Quélen dans ce processus  dépersonnalisé : retrouver un champ d’écriture dans lequel toutes les possibilités sont expérimentées, un mécanisme qui déconstruit et reconstruit perpétuellement le tissu du texte en utilisant un vocabulaire parfaitement anodin, une sorte de b.a.-ba dans lequel le b. ne suit jamais le a., où les cartes sont sans cesse rebattues à l’intérieur de la forme rigoureuse des poèmes d’Enoncés-types. 
 
 
[Vianney Lacombe] 
 
Dominique Quélen, Énoncés-types, Ed. Théâtre Typographique, 118 pages- 18€