Comment Valls coupe 50 milliards d'euros.

Publié le 17 avril 2014 par Juan

Groundhog Day est ce film dénommé "Un jour sans fin" quand il sortit il y a 20 ans. Le héros était tombé dans un espèce de faille temporelle qui lui faisait revivre la même journée, indéfiniment.

Régulièrement, comme un jeu sans fin, la France va plaider à Bruxelles un sursis budgétaire. Nicolas Sarkozy avait début son premier quinquennat ainsi. François Hollande l'avait obtenu en 2013. Et Manuel Valls vient de tenter, en vain, de rejouer l'affaire.

Et du coup, il accélère l'annonce des 50 milliards d'euros d'économies.


Lundi, Manuel Valls grimace. 
Il est à Berlin. Il vient de se faire tancer, non pas publiquement, l'affront serait trop grave. Mais les autorités allemandes comme la Commissione eurocrate ont opposé une fin de non-recevoir à sa demande de délai pour rétablir les comptes. L'aggravation de la crise européenne ces deux dernières années a plombé les espoirs d'amélioration budgétaire en France.
Pour l'heure, Valls grimace donc. Il va falloir trouver mieux. Dans l'immédiat, il cache le rétro-pédalage. Jamais ô grand jamais n'aurait-il espéré un quelconque assouplissement des échéances budgétaires européennes !
La nouvelle douche aussi les espérances électorales du moment. Le PS aura quelque difficultés à convaincre qu'il milite avec efficacité pour la croissance et l'emploi, et pas seulement la rigueur.
Prudent, Montebourg s'est planqué. Il n'est pas venu à Berlin. Dans le duo à Bercy qu'il forme avec Michel Sapin, Montebourg laisse son collègue prendre les réprimandes.
Mardi, les ministres masquent
Il faut tenir, ne pas se déjuger. Expliquer que tout va bien. Stéphane Le Foll, nouveau porte-parole du gouvernement, était rapidement sur les ondes, dès mardi matin, pour clamer combien le gouvernement tiendrait ses promesses européennes: "la France peut atteindre les 3 %" expliquait-il ce 15 avril. "ces déficits budgétaires étaient de l'ordre de 5,7 % en 2011. Ils sont d'ores et déjà à 4,3 %." "Beaucoup d'efforts ont été faits. (...) Si vous laissez filer votre déficit budgétaire c'est l'endettement de la France qui explose". 
Michel Sapin, qui prônait l'inverse deux jours après sa nomination aux Finances, clame aujourd'hui que tout va bien se passer.
Ces phrases se répètent. Les hommes ne sont pas en question. Ce verbiage n'intéresse simplement plus. Il est inaudible.
On essaye plutôt de comprendre ce qui va se passer.
La France se trouve contrainte de trouver mieux que 50 milliards d'euros d'économies. Sinon, elle risque des sanctions. Le fameux traité européen qu'Hollande a tenté de renégocier au cours de l'été 2012, prévoit un mécanisme de sanction.
Mercredi, Valls accélère
Ces 50 milliards d'euros d'économies devaient être détaillés le 23 avril prochain. Manuel Valls en a la liste. Avant le remaniement post-municipales, l'ancien ministre du budget (depuis passé à l'Intérieur), Bernard Carzeneuve, expliquait qu'il avait tout finalisé. Tout est donc prêt, mais on devrait attendre. Le weekend dernier, quelques-uns conseillers anonymes "testent" l'opinion: et si on supprimait les APL pour les étudiants non boursiers ? Les réseaux sociaux s'affolent, même les soutiens s'inquiètent. On rétropédale.
Dans les médias, on fustige le "flou" dans lequel le gouvernement est coincé, maintenant qu'il n'y a plus de sursis. 
Mercredi, on sent l'affolement. Manuel Valls déboule devant les caméras, et passe 17 minutes pour détailler le plan d'économies, avec une semaine d'avance. En une semaine, les grands équilibres ont déjà changé: les collectivités contribueront davantage qu'annoncé dans le discours de politique général le 8 avril. Mais surtout, la douloureuse sera pour la Sécurité sociale: 21 milliards sur 50, et un gel complet des prestations sociales jusqu'en octobre 2015.
L'intervention est grise comme la cravate, sinistre comme le costume. Valls parle droit, lit ses notes, n'improvise rien, ne répond à personne.
Il rappelle le discours de Hollande du 14 janvier, et l'ambition de "donner plus de force à notre économie", "encourager nos entreprises", "soutenir la croissance, et donc créer plus d'emploi"
"Aux Français, nous voulons dire simplement, et directement, il y a un chemin pour redresser la France." 
Ce chemin est-il le nôtre ? Non.
Manuel Valls évite le "je", il préfère le "nous". Il parle comme un chirurgien avant l'amputation.Qu'on ne s'inquiète pas, les deux jambes, droite comme gauche, seront coupées. Les riches comme les pauvres, les précaires comme les autres contribueront à l'effort de guerre. Manuel Valls, et sans doute François Hollande, n'avaient donc absolument rien compris de la mauvaise séquence écoulée: le redressement du pays ne peut ni ne doit se faire sur le dos des précaires.
"Ces efforts seront justes car ils seront collectifs. Ils seront justes car ils seront équitablement répartis." L'homme trébuche sur ce dernier mot. Il est trop crispé sur son texte, l'expression est à peine fluide. "Enfin, ils seront justes, car ils serviront à tous."
Valls s'abrite encore derrière Hollande et la "feuille de route". Le gars n'est qu'un exécutant, qu'on le comprenne bien ! Il machônne les trois objectifs, comme pour insister sur le plus détestable: "le premier, c'est la mise en oeuvre du Pacte de responsabilité". L'erreur politique est fondamentale.
L'essentiel des économies ne servent pas à redresser les comptes, combler nos déficits, alléger le poids de la dette. Non, il s'agira d'alléger les entreprises d'un effort de cotisations sociales en échange d'hypothétiques promesses d'embauches qu'elles sont naturellement incapables de garantir.
Notre premier ministre embraye. "Pour le dire simplement, c'est le moyen de mettre en mouvement notre économie, notre compétitivité, notre attractivité". Il insiste sur le besoin de "baisser le coût du travail". Financer ces réductions est le premier des objectifs mis en avant. La réduction des déficits ne vient qu'en second.
Puis Valls annonce comme une victoire que les promesses de créations de postes dans l'Education nationale seront tenues. Sans rire.  Il fait la course à l'échalote avec la droite. Le pari politique est toujours le même, convaincre à droite en s'imaginant que la gauche suivra coûte que coûte.
Concernant les économies, Valls sort enfin des chiffres. Sortez les mouchoirs. 
"18 milliards d’euros d’économies de la part de l’Etat " - L'Etat, rappelle Valls, "c'est notre bien commun":
- maîtrise des dépenses de fonctionnement des ministères (dépenses immobilières, mutualisation des fonctions support et "réduction du train de vie de l’Etat".
- gel de la valeur du point fonction publique (voici pour la "contribution" des fonctionnaires: "je sais ce que nous devons à nos fonctionnaires, si essentiels à la vie de ce pays", rassure-t-il), mais "les règles d'avancement dans la fonction publique d'Etat seront préservées" (vous l'avez senti passé pas loin, le boulet ?)
- "recentrage" des interventions de l’Etat, "pour être plus efficaces". - Réduction des dépenses des opérateurs et autres agences de l’Etat (contre +15% "sous le précédent quinquennat").
"11 milliards d’euros d’économies sur les collectivités locales":
- mutualisations entre communes et intercommunalités,
- suppression de la clause de compétence générale des départements et des régions (pour "rationaliser les dépenses et de clarifier le rôle de chacun", rationalisation des syndicats intercommunaux, "meilleure sélection des projets d'investissement";
- réduction de la Dotation Globale de Fonctionnement dès 2015,
- réduction des dépenses locales, pour "contenir la progression de leurs dépenses au rythme de l’inflation."
"10 milliards d’euros d’économies sur l’assurance maladie":
- "amplification des réformes structurelles" engagées dans le cadre de la stratégie nationale de santé. En fait, le gouvernement sort bien le rabot qu'il rechignait à utiliser: énième réforme du parcours de soins, renforcement de la chirurgie ambulatoire, accélération des retours au domicile après une hospitalisation.
- réduction des dépenses de médicaments (comment ?), "grâce à une consommation plus raisonnée, à un plus grand recours aux génériques et à des prix davantage en adéquation avec l'innovation thérapeutique" ;
- déremboursement de certains actes et interventions "inutiles ou évitables".
Mais Valls promet: "ces efforts seront réalisés sans réduire la prise charge des soins , ni leur qualité" Le discours officiel rappelle l'importance de l'assurance maladie - 179 Mds€ en 2014 - comme pour mieux minorer les efforts demandés.
"11 milliards d’euros d’économies sur les dépenses de protection sociale"
- 3 milliards d’euros sont déjà identifiés et en place: "modernisation de la politique familiale"(décidée en 2013) ;
- mise en oeuvre de la réforme des retraites ; accord entre partenaires sociaux sur les régimes complémentaires AGIRC-ARRCO.
- économie de 1,2 milliard sur les caisses de sécurité sociale via la "dématérialisation, la simplification et la meilleure articulation entre les différents organismes".
- Gel de certaines prestations sociales pendant un an: pensions du régime de retraite de base (1,3 milliards d’euros), retraites complémentaires (2 milliards d’euros, si les partenaires sociaux sont d'accord), autres prestations sociales (logement, famille, invalidité pour 0,7 milliard d’euros), revalorisation exceptionnelle du RSA, du complément familial et de l’allocation de soutien familial décidés en 2013.
- réduction du déficit de l'UNEDIC (2 milliards d’euros d'ici 2017), via la nouvelle convention d’assurance-chômage récemment signée.
Valls précise: cet effort temporaire "épargnera les retraités dont les pensions sont les plus modestes puisque le minimum vieillesse continuera, lui, d’être revalorisé", mais aussi les minima sociaux (RSA, ASS, AAH, minimum vieillesse), "dont la revalorisation sera garantie".
Au total, ce sont donc quelque 21 milliards d'euros qui seront économisés sur les prestations sociales, soit 40% du total. Valls conclue: "nous connaissons les attentes, les doutes." Il s'est trouvé un conseiller présidentiel, forcément anonyme, pour expliquer ensuite: "On nous disait que l’on arriverait jamais à faire ces 50 milliards d’économies. Maintenant, c ’est fait ". A gauche, y compris parfois au PS, on frôlait la sidération ou la résignation.
"Nous n'avons pas été élus en 2012 pour organiser l'appauvrissement des Français les plus modestes, des salariés, des retraités, des exclus, des jeunes." a commenté Christian Paul, député proche de Martine Aybry. "Les propositions qui sont faites ne sont pas votables par beaucoup de députés socialistes, en l'état."
S'agit-il d'un jeu ?

50 milliards d'économies : le détail par LCP http://www.dailymotion.com/video/x1ot7gv_50-milliards-d-economies-le-detail_news